Le 25 juillet 1944

St. Malo

"Plage du Sillon "

P-38 F-5C - "Katy" #42-67116

1 st Lt. Edward Budd Parsons

7th FG PRH / 22nd FS

 

Le 1st Lieutenant Edward Budd Parsons, matricule O-746165. Etait originaire de Chicago. En mission au dessus du nord de la Bretagne le mardi 25 Juillet 1944 vers 13 heures, il est victime d'un tir de la FlaK au dessus de Saint Malo. Le Lieutenant Parsons est alors âgé de 22 ans, il appartenait au 22th squadron du 7th Groupe de Reconnaissance Photographique de la 8th Us Air Force. Cette unité était basée depuis 1942 sur la base de Mount Farm, située au nord de Dorchester, Comté d'Oxford (Oxfordshire) Angleterre. USAAF Station 234. Cette unité très active avait pour mission de prendre des clichés du sol de France occupé par les Allemands. Clichés permettant un repérage des bâtiments, unités,construction nouvelles … Prises à haute altitude ces photos étaient d'une grande netteté.

Ce jour là, en milieu de matinée, le Lieutenant Parsons décolle à bord de son Lockheed P-38 Lightning pour une mission de reconnaissance photographique visant la région de Rennes-Combourg. Son avion n'a pas d'armement mais un équipement photo des plus sophistiqués. Il en est à sa 35ème mission. Ce P-38 lui a été attribué il y a plus d'un an. Il l'a personnalisé en y faisant peindre sur le nez le prénom féminin de "Katy". Ce P-38, F-5-C-1-LO porte le numéro de série 42- 67116. Il est équipé de deux moteurs Allison de 12 cylindres en ligne chacun. L'un des moteurs porte le numéro de série (89)A 045056, l'autre (91)A045412. Avion très rapide et d'une grande maniabilité, il est doté d'un double fuselage arrière. Le poste de pilotage étant centralisé.

Dans cette mission, le lieutenant Parsons n'est pas seul. Il a avec lui son leader le Major Walter Weiner qui lui aussi volera sur un P-38 également chargé de prises photos dans une zone proche du Lt Parsons. Le troisième homme est le Lieutenant Carlgren Robert qui lui aussi pilote le même type d'appareil.

Rapport du Major Walter Weiner. Ce 25 juillet 1944, je commandais en tant que leader, un trio de Lightning P-38 de reconnaissance photographique opérationnelle au dessus de Brest Penisula. Les américains désignaient ainsi la région Bretonne. L'un des aviateurs qui s'étaient joint à moi était le Lieutenant Parsons. Faisait parti également du groupe le Lieutenant Carlgren Robert. A l'approche de la côte nous volions à une altitude de 9000 pieds (2750 mètres). Il était convenu qu'à ce moment nous nous séparerions pour nos missions respectives. Ce que nous avons fait. Les clichés concernaient la région de Rennes Combourg mais chacun ayant son secteur respectif défini à l'avance. Ma mission accomplie je me suis dirigé vers Cherbourg Peninsula en longeant la côte. Les américains désignaient ainsi le Cotentin. Vers 12 heures 30, j'ai lancé un appel à mes coéquipiers, leur demandant ou ils en étaient, leur précisant que j'étais prêt pour un retour à la base. Le lieutenant Parsons m'appela aussitôt me disant qu'il n'avait pas terminé mais qu'il me rejoindrait rapidement. Ce fût mon dernier contact avec lui. Il me signala qu'il se trouvait dans le nord de la zone désignée pour la mission. J'ai tourné en cercles, dans une zone nuageuse pendant 5 minutes à une altitude 13000 pieds (3900 mètres), le lieutenant Carlgren n'avait pas répondu à mon appel. Ne voyant par la suite personne me rejoindre, je décidais de continuer ma route. Il ne me semblait pas que mes coéquipiers avaient rencontré d'avions ennemis. Il était convenu qu'au cas où un appareil allemand faisait irruption nous devions faire route de retour immédiatement après avoir lancé l'information à tous. Le Major Weiner rentra à la base sans problème. De même pour le Lt Carlgren. Ce ne fût pas le cas pour le Lieutenant Parsons. Repéré par les observateurs Allemands à l'approche de Saint Malo, il fût la cible des puissantes défenses anti aériennes de la Festung Saint Malo. Il fût touché au niveau du fuselage. Très vite il comprit qu'il allait falloir se poser en urgence. Il fit un amerrissage à 300 mètres de la plage de Paramé Rochebonne. Il était 13 heures. L'avion très vite s’enfonça dans l'eau. Le Lieutenant Parsons eut du mal à se libérer, coincé dans son cockpit. Très vite les allemands en barque étaient sur les lieux et lui intimèrent l'ordre de se rendre, le déclarant prisonnier. Il prit soin de conserver ses affaires personnelles qu'il avait dans sa sacoche. De nombreux Malouins assistèrent à la scène du haut de la digue. L'épave de l'avion fut remorquée vers la plage. Après avoir passé sa première nuit de captivité à Saint Malo, le Lt Parsons fût pris en charge dès le lendemain 26 juillet, par un groupe de soldats allemands commandés par l'Unterofficier Deseler, venus en voiture de l'aérodrome de la Luftwaffe Rennes Saint Jacques, qui via Laval l’emmenèrent au camp de prisonnier de Chartres dans l'Eure et Loire. L'Unterofficier (sergent) Deseler précise dans son rapport que le prisonnier à conservé ses affaires personnelles. Il fut transféré au Stalag Luft 3 Sagan-Silesia Bavaria (Puis à Nuremberg-Langwasser) 49-11.

Jean Michel Martin - Août 2012

Le P-38 crashé sur la plage du Sillon (collection P. Beroul)

Lt. E R Parsons
Photos Jean Michel Martin - Août 2012. Remerciements à Monsieur Eric Peyle et à Monsieur Louessard - Mémorial 39 45, Cité d'Aleth à Saint Malo

GOMon père, Hippolyte Marie Joseph Puisné est né en 1891 à Saint-Servan, sixième enfant sur sept d’une famille de pêcheurs. Les cinq premiers enfants étant nés à Cancale, à La Houle. Son frère cadet se noya à la pêche à Terre-neuve en 1922. Un de ses grands oncles est mort à Sébastopol et un autre dans l’Atlantique.

Ayant terminé ses études avec le certificat d’étude, il fut employé plusieurs années à la voilerie Francis Lacoste sur le Sillon, alternant travail à la voilerie et pêche avec son père.

En 1908 il embarqua comme voilier sur le Jules-Gomes transportant du charbon en Australie et fit le tour du monde en un an sur ce trois-mâts. Suite à trois ans de service militaire dans la Marine, la guerre de 14-18 se déclara. Timonier sur torpilleurs, sous-marins et autres navires, il étudia seul et réussit à passer l’examen de capitaine de la marine marchande après la guerre.

Commandant en second du Thérèse-Horn, il fit des voyages aux Amériques et en Baltique avant de tomber de treize mètres dans la cale sèche de Saint Nazaire. Grièvement blessé, il réussit cependant à entrer au service du pilotage de Saint-Malo-Saint-Servan.

Il s’efforça malgré l’inertie de ses collègues d’améliorer le service par l’achat d’un bateau à moteur et la reprise des travaux de clôture du passage du Nay transformer l'avant-port, (le bassin Vauban, de bassin de marée en bassin à flot.

Il fit plusieurs sauvetages de navires échoués, risquant de se briser, ou de personnes. C’est lui qui déclencha l’alerte depuis le port de Saint-Cast, où il ramena les premiers survivants de l’équipage du Laplace.

Il passa avec l’Eider, un trois-mâts terre-neuvas, entre le Grand Bey et le Petit Bey pour le rentrer au port, à la voile et sans remorqueur. Pionnier de la Société nautique de la baie de Saint-Malo, il adorait les régates. Il eut le plaisir de piloter le Pamir, quatre mâts qui tournait un film dans la baie de Saint-Malo. Quelques mois après, ce navire sombra.

Au début de la guerre, il fut élu en son absence comme président du syndicat des pilotes, charge difficile, qu’il accepta cependant. Il obligea ses pilotes à faire le minimum de ce que les Allemands exigeaient. Quoique se sachant surveillé, il refusa souvent d’obéir aux ordres.

Très modeste, il déclara après la guerre, qu’aucun des pilotes du syndicat n’était digne de recevoir une décoration et il refusa de recevoir la médaille du Mérite maritime après l’affaire du Laplace. Le paragraphe suivant est tiré de ses souvenirs de marin, écrits dans les années 70.

 

La guerre 1939-1945

 

En dehors du service du pilotage ordinaire, je dois relater ce qui s'est déroulé durant la guerre 1939-1945 dans notre station du port de Saint-Malo. Lors des premiers mois de la guerre, le trafic du port de Saint-Malo devint presque nul. Cela changea rapidement en 1940, quand les Allemands commencèrent l'invasion de la Belgique. Les déchargements qui se faisaient dans les ports d'Anvers et du Nord diminuèrent par crainte de l'occupation. Les ports de l'ouest augmentèrent leur trafic. Celui de Saint-Malo eut un mouvement quotidien de plus de cinquante navires. Les pilotes étaient sur les dents. Si la Luftwaffe était venue dans nos ports, il y aurait eu de gros dégâts. Aucun navire n'était armé, ni accompagné. Plusieurs avaient des troupes à bord, d'autres du matériel de guerre. Il n'y avait aucun poste de D.C.A. dans la région. Quand les ennemis approchèrent, il n'y eu pas de résistance. Les navires retournèrent précipitamment chargés de guerriers au point que pilotant le dernier vapeur vers les onze heures du soir, j'eu toutes les difficultés pour me rendre de la passerelle à la vedette du pilotage navigant près du navire. Les soldats anglais étaient entassés comme des haricots dans une boite de conserve. Je n'arrivais pas à me frayer un chemin jusqu'à la coupée et mis un temps fou pour atteindre un côté de la lisse. Point d'échelle de pilote. J'ai pu saisir un bout de filin d'une embarcation de sauvetage située sur le pont et je me laissais affaler le long du bord. Il n'y avait aucune lumière de part et d'autre et pour cause. Il faisait très noir. Heureusement, le matelot-pilote, veillant bien, m'aperçut pendu à la corde. Le capitaine anglais avait fait stopper la machine pour me permettre de débarquer et estimant vu le temps écoulé, que je devais être dégagé, ce qui n'était pas le cas, avait fait remettre en route. Je me trouvais dans une situation dangereuse et n'aurais pas tenu longtemps le long du bord, sans la vigilance de notre matelot. Cela me permit de sauter sur le pont de la chaloupe. Peu de temps après le départ des alliés, l'armée allemande occupait la place. Aussitôt, nous fûmes réquisitionnés pour servir dans nos limites de pilotage les navires qui auraient recours à nos services. C'est d'ailleurs, ce qui se passa dans tous les ports de France. En janvier, au cours d'une réunion syndicale à laquelle j'étais absent, je fus désigné pour prendre la charge de président du syndicat. Quoique cela présenta des difficultés, j'acceptais. On nous forçait à travailler avec des salaires dérisoires. A mes réclamations, on me répondait : « Les Français ont occupé le Rhin pendant un an et employèrent les pilotes, sans les payer ». On nous rendait la pareille ! Toutefois, ils comprirent qu'à ce régime, ils ne gagneraient pas. C'est alors que nous avons commencé à être payés mensuellement d'une somme fixe, juste de quoi ne pas mourir de faim. Nous n'avions pas le choix. En temps que chef, je fus souvent appelé à la Kommandantur. Lorsque les Allemands, établirent le premier barrage de filet de fer à la grande écluse, ils ordonnèrent aux pilotes d'aider à la mise en place de ce filet. Aussitôt prévenu, je m'y opposais, déclarant à la Kommandantur, que nous étions pilotes pour servir les navires et non pour faire des manoeuvres. J'appris, que le Hafenkommandant fut froissé de ma démarche. Il en fut ainsi pour les navires. Ils voulaient que nous les conduisions aux îles anglo-normandes et aux petits ports de la côte. J'ai toujours insisté pour que nous ne sortions pas des limites de notre station. Soulignant, qu'en cas d'accident, nous n'étions pas couverts par l'Administration maritime française, que nous devions rester dans les parages de notre station et que nous ne devions pas remplir d'autre service. L'Hafenkommandant qui, avant la guerre, remplissait la fonction de chef d'armement d'une société de pêche était très conciliant. Il n'eut pas l'intention de s'imposer. Pendant le temps qu'il passa à Saint-Malo, il fît son possible pour être favorable aux demandes des marins-pêcheurs de la région. C'est ainsi que prenant leur défense, j'ai pu obtenir de lui que les pêcheurs puissent s'éloigner à une dizaine de milles de la côte. Distance nécessaire pour pêcher. Ces sentiments profrançais lui furent défavorables. Quand les Allemands envahirent une partie de la Russie, il fut licencié et envoyé à Odessa où, descendu avec une quarantaine de soldats dans un hôtel, il fut tué avec tous les autres occupants, quand l'hôtel piégé avec une bombe à retardement sauta.

 

Le R021, parti sans pilote, brisé sur Les Courtils11

 

En 1941, un pilote allemand, du grade de capitaine prit la surveillance du pilotage. Au premier abord, purement nazi, très intelligent, il comprit qu'il lui faudrait changer de tactique. Bientôt, sa présence ne fut pas désagréable. En 1943, l'aviation alliée ayant bombardé Cuxhaven, sa demeure et toute sa famille, femme, belle-mère et son fils furent anéantis. Alors là, complètement déprimé, il changea totalement. Le désespoir le gagna. Un jour au bureau du pilotage, il me posa cette question : « Monsieur Puisné, que pensez-vous de la guerre ? ». Je ne lui cachais pas mon opinion que l'Allemagne filait un mauvais coton. Je sus que plus tard, au mess où il déjeunait, il eut, vis-à-vis de ses concitoyens, des propos déplacés sur le Reich. Dénoncé, il fut arrêté, conduit à la prison de l'Espérance et là, obligé de se tirer une balle dans la tête. Je devais, me rendre souvent à la Kommandantur, prendre les ordres concernant notre service. La réception du nouvel Hafenkommandant, n'était plus la même. Heureusement, que j'ai pu gagner la sympathie de l'interprète12, une femme très intelligente dont le mari était prisonnier en Allemagne. Elle m'a parfois tiré d'embarras auprès des autorités. Lorsque le premier bateau français passa par le détroit de Gibraltar, je fus interpellé par l'ancien colonel Cardan, (dont j'ignorais à l'époque, les idées germanophiles). Je pris sérieusement, la défense des Anglais et comme plus tard, j'apprenais par l'intermédiaire de l'interprète, que j'étais surveillé par la police allemande, je n'ai pas douté un seul instant que ce ne pouvait être que ce colonel qui m'avait dénoncé. Nous n'étions évidemment pas bien vus des Allemands. J'eus l'idée, quand j'appris la mort de l'ancien Hafenkommandant, d'envoyer à sa femme, une carte de condoléances. J'en fis part à tous mes collègues qui approuvèrent l'idée et remis cette carte aux Allemands. Je pensais, par ce procédé, qui d'ailleurs, n'avait aucun but militaire, diminuer les soupçons à notre égard. Je crois qu'il fit son effet, car nous avons été moins inquiétés, sans que cela change quoique ce soit à notre opinion. Aucun des pilotes, n'avait d'idées pro-allemandes. La bordée (Lucas, Legall, Puisné) fut rappelée à l'ordre pour mauvaise volonté au travail. Plusieurs fois, pendant l'occupation, j'ai été convoqué devant des autorités, pour rappel à l'ordre. On me reprocha :

1ère de ne pas faire assurer le travail dans de meilleurs conditions.

2ème de ne pas m'être présenté à la cale de la porte de Dinan, à l'heure arrêtée la veille, pour piloter notre vedette qui devait remorquer des cibles pour un tir qui devait avoir lieu à l'aube. Cet exercice échoua, vu qu'il n'y avait pas de pilote pour conduire les bâtiments mobilisés en la circonstance. Je devais me présenter à quatre heures alors qu’il était six heures quand je suis arrivé.

3ème étant chef du matériel, de ne pas surveiller ou faire surveiller les consommations d'huile et de gas-oil de notre vedette, ce qui faisait l'affaire de plusieurs resquilleurs. Je répondais que je n'étais pas le gardien et qu'ils n'avaient qu'à détacher eux-mêmes un soldat jour et nuit à bord. Il est vrai, que ne touchant qu'une faible indemnité pour l'utilisation de nos bateaux-pilotes, je n'ai cessé de faire faire le plus de réparations possibles et de peinture de la coque. La consommation était en effet considérable, je n'ai jamais fait aux matelots, la moindre observation à ce sujet. N'ayant aucune confiance en nous pour les sorties et entrées des navires, la Kommandantur fit venir quatre pilotes allemands du port de Hambourg, pour les mouvements des navires qui transportaient des troupes. Nous ne fûmes jamais en contact avec ces pilotes et ne nous adressâmes jamais la parole. Il semble qu'ils avaient reçu l'ordre de nous éviter.

Durant l'hiver 1940-41, par l'intermédiaire d'amis, je me mis en relations avec un chef de la Résistance. Ayant des renseignements auprès de l'interprète précitée, j'informais cette personnalité sur tout ce qui pouvait l'intéresser. Il était fréquemment absent de Saint-Malo, on ne s'écrivait pas et pour cause. Lors de ses passages, nous nous rencontrions, chez les amis qui me l'avaient fait connaître, ou on se promenait sur les quais. Je l'instruisais sur les mouvements du port. Je lui fis remarquer que les convois et ils étaient nombreux, à destination des îles Anglo-normandes n'étaient jamais attaqués par les avions en cours de route. Il me répondit. « Laissez-les faire. Ces îles ne seront pas attaquées par les alliés. Leur position stratégique n'a aucune importance. Tout ce trafic mobilise du matériel et du personnel dont les Allemands pourraient tirer un meilleur parti. Toutefois, les avions feront quand même de temps à autre leur apparition. Faîtes attention à ne jamais laisser vos collègues s'éloigner de votre station. Il peut se produire une attaque un jour ou l'autre ». Un lundi matin, nous trouvant tous les deux sur le pont d'éclusage du bassin Duguay-Trouin, je lui signalais un cargo, le R10 chargeant des munitions à destination de Guernesey. Ce navire devait quitter le port le mercredi suivant. « Monsieur, me dit-il, regardez le bien, je saurai exactement l'heure de son départ, vous ne le reverrez plus ». Effectivement, ce navire, quelques milles avant son arrivée à destination, fut bombardé et coula. Ce fut le premier attaqué par des avions. Ces quelques attaques, obligeaient l'ennemi à conserver une certaine flotte en patrouille dans la baie de Saint-Malo. J'avais en mémoire, ce qui m'avait été dit. Le vapeur Normand devait appareiller de Saint-Malo et se rendre à Granville. La Kommandantur demanda un pilote pour le conduire à ce port. Je répondis par téléphone que le pilote Guéras étant de service ce jour sortira le navire jusqu'à la limite de notre station et débarquera à cet endroit. L'Hafenkommandant insista. Dans l'intervalle, j'avais informé l'Administrateur de l'Inscription maritime qui m'approuvait13. Aussi, fort de cet appui, je refusai de nouveau. Le Normand appareilla, il dut continuer sa route sans la présence du pilote, celui-ci ayant débarqué à la bouée d'atterrage, qui est le point ou en général, le pilote quitte le navire, celui-ci étant hors de danger. Une autre fois, étant moi-même de service. Le remorqueur Le Malouin se trouvant à l'écluse, demandait un pilote pour aller à Saint-Brieuc. J'informais le capitaine du remorqueur que la limite du pilotage se terminait à Erquy et que je ne connaissais pas la navigation côtière au delà. Le remorqueur rentra au bassin. J'ai fait de même pour tous les remorqueurs, qui toutes les nuits étaient mouillés en rade se tenant prêts à porter secours aux navires attaqués en mer. J'ai réclamé et obtenu qu'aucun de nous ne couche à bord, comme ils l'exigeaient. La troisième fois je déclarais que mes connaissances étaient nulles pour aller déséchouer une vedette avant l'écluse du Chatelier en Rance, que je ne connaissais pas ce lieu situé en dehors des limites du pilotage. Je déclinais toute responsabilité. En d'autres circonstances évidemment, je n'aurais pas agi de la sorte. Un autre pilote dont je ne citerai pas le nom accepta de se rendre pour déséchouer cette vedette. Je lui en fis, après coup, le reproche, ainsi qu'une autre fois où il accompagna l'Hafenkomandant à l'île de Bréhat. J'appris également, alors que j'avais quitté la station pour aller me réfugier dans les Côtes du Nord, qu'il pilota un bateau-citerne pour ravitailler en eau douce, les avisos allemands au mouillage en Rance devant le petit port de Saint-Suliac.

 

Un des navires en Rance15

Photo prise depuis leur propriété de la Passagère par l'oncle de Jean Renaut

 

Ayant fait tout mon possible, avec tous les risques encourus vis à vis de l'ennemi pour qu'aucun pilote ne s'éloigne de la station, pour laquelle nous étions réquisitionnés, je ne pouvais admettre que quiconque déroge à cette question quels que soient ses intérêts personnels. Aussitôt après la Libération sous les menaces que ce collègue fit à diverses personnes dont moi-même, j'ai dû signaler son cas au chef de la Résistance de Rennes. Après mes démarches, s'apercevant qu'il avait fait fausse route, il voulut se réhabiliter et me tendre la main. Je ne l'entendais pas de cette façon. Ces menaces étaient graves et auraient pu avoir de grandes conséquences, à cette époque. Jamais, je ne lui ai pardonné, jusqu'à sa mort16.

Le 27 juillet 194417, j'ai volontairement manqué le dernier convoi qui partait de la rade de Saint-Malo. Le matelot allemand employé à notre service menaça de me signaler à la Kommandantur. D'autant que le 23 du même mois, en juin 44, un avion canadien touché par la D.C.A. vint s'abattre à une petite distance, au large de la digue de Paramé. La mer en cet endroit n'asséchant pas, les Allemands, réquisitionnèrent un bateau sablier, le Quentovic, le mouillèrent au dessus de l'avion submergé et avec le concours de scaphandriers, le fixèrent en cravate sous la coque du sablier par quatre câbles d'acier. Étant de service, je fus appelé pour me rendre sur le remorqueur afin de prendre en remorque le Quentovic et le ramener au port. Appareillé de l'endroit précité, je fis faire d'abord, machine en avant doucement, comme on me l'avait recommandé, puis ayant pris du large pour contourner les rochers de "la Grande Côtière" qui se trouvaient sur notre gauche, je profitais d'un peu de houle pour accélérer la vitesse. La casse ne se fit pas attendre. J'entendis bien les cris de l'équipage du bateau remorqué, mais me trouvant à une bonne distance vu la longueur du câble, je fis la sourde oreille, feignant de ne pas comprendre leurs gestes. En quelques secondes, les amarres retenant l'avion, cassèrent les unes après les autres. Ce dernier retourna par le fond avec une plus grande hauteur d'eau. Il est certain que l'épave se disloqua. Cela se passait un vendredi après-midi. Les bureaux de la Kommandantur fermaient le samedi. Je n'ai pas attendu d'être interpellé le lundi suivant pour répondre aux questions qui m'auraient été posées. Sachant par l'interprète que j'étais souligné à l'encre rouge, je me doutais de ce qui me serait arrivé. Je m'attendais a être convoqué par la Kommandantur et je m'étais mis d'accord avec l'homme qui se trouvait a la barre du remorqueur (le capitaine était absent) pour déclarer, que nous devions avoir cette vitesse pour gouverner avec le vent debout. Je m'en serais voulu de ramener cet avion au port18. Sitôt de retour au port, je rejoignis ma famille, nous quittâmes précipitamment le château de la Ville-Huchet où nous étions réfugiés pour nous rendre avec mon bateau19 de l'autre coté de la Rance, à La Landriais. Trois semaines plus tard, l'armée américaine se trouvait à proximité de Saint-Malo. Je n'avais plus rien à craindre de la part des Allemands.

Saint-Malo étant dégagé de l'occupant allemand, on commença à respirer. Le trafic du port reprit, surtout en approvisionnement de charbon. Tous les jours, plusieurs navires arrivaient chargés. Monsieur l'Administrateur de l'Inscription Maritime, dont j'ai parlé plus haut quitta notre station pour prendre à Paris, la Direction générale de la Marine Marchande de France et d'Outre-mer. Il m'adressa le télégramme suivant :

 

 

Pendant l'occupation, dans le but d'améliorer notre alimentation, je me servais de mon bateau de plaisance, quand j'étais libre, pour me rendre en mer à la pêche au maquereau. Un jour que je me trouvais seul à quatre milles de la côte, un avion20 allié s'étant approché de Saint-Malo, la D.C.A. entra en action. La trajectoire des balles qui passaient au dessus et au dessous de l'avion était dans ma direction. Durant quelques instants, ce fut un véritable grain de grêle qui tomba autour de moi. Cela giclait de toutes parts, sur la surface de l'eau qui était calme. Je n'avais aucun abri sur mon bateau, c'est un miracle qu'aucune balle ne m'atteignit. Une deuxième fois, nous étions plusieurs embarcations à cinq ou six milles au large, pêchant le maquereau ; Quand tout à coup, des obus tirés de la côte tombèrent parmi nous. En vitesse, nous quittâmes les lieux. Aucun pêcheur ne fut atteint. Une troisième fois, ayant mouillé pour la nuit, un filet le long du coté est de l'île Agot, près de Saint-Briac. Je m'y rendais le lendemain matin sur l'Altaïr avec ma fille pour en reprendre possession. Je me servais de ma plate, tandis que ma fille restait sur le bateau. Je terminais mon travail, lorsque des obus, provenant d'un champ de tir dont j'ignorais l'existence, pleuvaient sur l'îlot près duquel nous étions. Ils passèrent a quelques mètres au dessus de nos têtes. Geo, apeurée se laissa tomber a plat ventre sur le tillac. Le moteur étant en marche, je filais au plus vite, vers un abri de la côte, attendre que les Allemands cessent leurs tirs.

La dernière fois, je l'ai échappé belle. L'Altaïr, se trouvant sur son tangon au port Saint-Père, je me servais de ma plate pour débarquer. Je venais à peine de quitter le bord, quand un obus tiré d'un fortin situé sur la pointe de la Vicomté, à quinze cent mètres, alla s'écraser sur les rochers à une trentaine de mètres. Je godillai précipitamment pour m'éloigner de leur tir. Trente secondes ne s'étaient pas écoulées, qu'un deuxième obus me sifflait à l'oreille ; J'étais pris pour cible. Il n'y avait aucun témoin sur la grève, c'était l'heure du déjeuner. Échouant vivement ma plate, je courrai pour me rapprocher des maisons qui bordent la rive en maudissant ces cochons d'ennemis.

Nota : Il semble d'après les archives de mon père, que l'autorité maritime alliée ait voulu faire nommer a titre temporaire un nouveau chef du pilotage le 26 octobre 1944, le capitaine Hunot.

Mais on constate que l'intérim, s'il a eu lieu a du être très court, puisque le mois suivant, mon père est toujours chef du syndicat des pilotes de Saint-Malo. D'ailleurs, une lettre du Secrétaire Général de la Marine Marchande M. Anduze-Faris, informé de cette nomination, demande un dossier complet faisant ressortir la nécessité de nommer un autre chef du pilotage à Saint-Malo, tout en soulignant que les fonctions provisoires de M. Hunot cesseront du jour de sa propre décision.

Notes de Jean-Pol Puisné. Retrouvailles du Lightning

J'avais fait en 2010 à Mérignac, la connaissance de Jean-Michel Gravaud, neveu d'un navigant des Groupes Lourds tué au combat. Après avoir lu les souvenirs de mon père, il m'a mis en relation avec Monsieur Jean-Michel Martin de l'ABSA 39-45. J'avais aussi lu l'excellent livre de Monsieur Emmanuel Feige concernant les épaves des environs de Saint-Malo. Le 6 juin 2012, Jean-Michel Martin a prévenu J-M Gravaud qu'un moteur Allison aurait été récupéré par un pêcheur qui l'a abandonné sur la cale de Dinan. Le directeur du Mémorial 39-45 de Saint-Malo, Monsieur Eric Peyle, a réussi de justesse à le sauver avant qu'il ne finisse à la ferraille. Monsieur Jean-Michel Martin est venu a la Cité d'Aleth et l'a examiné. C'est bien un moteur de P-38 Lightning, 12 cylindres en V. Et ayant vérifié les types d'avions abattus pendant la guerre, il se trouve qu'il n'y a qu'un P-38 immergé. Ce serait donc bien l'avion que mon père a volontairement coulé pour que les Allemands ne puissent le récupérer. Je suis très heureux que le récit de mon père soit ainsi confirmé soixante-huit ans après cette action osée. Le 30 juillet 2012, en compagnie de Messieurs Jean-Michel Martin, Michel Docini et Pierre Mahé de l’ABSA, Emmanuel Feige et Jean-Michel Gravaud n’ayant malheureusement pu venir, j’ai pu voir ce moteur dans les souterrains du fort. Guillemette Renaut m’accompagnait. Ce moteur salé devrait être lavé, séché et traité avant qu’il ne se décompose dans ce boyau humide.

Merci à Monsieur Jean-Pol Puisné pour nous avoir transmis les récits de son père Monsieur Hyppolite Puisné

ABSA 39-45, août 2012