St. Malo "Plage du Sillon " P-38 F-5C - "Katy" #42-67116 1 st Lt. Edward Budd Parsons
7th FG PRH / 22nd FS |
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Mon
père, Hippolyte Marie Joseph Puisné est
né en 1891 à Saint-Servan, sixième
enfant sur sept dune famille de pêcheurs. Les
cinq premiers enfants étant nés à
Cancale, à La Houle. Son frère cadet se noya
à la pêche à Terre-neuve en 1922. Un de
ses grands oncles est mort à Sébastopol et un
autre dans lAtlantique.
Ayant terminé ses études avec le
certificat détude, il fut employé
plusieurs années à la voilerie Francis Lacoste
sur le Sillon, alternant travail à la voilerie et
pêche avec son père.
En 1908 il embarqua comme voilier sur le Jules-Gomes
transportant du charbon en Australie et fit le tour du monde
en un an sur ce trois-mâts. Suite à trois ans
de service militaire dans la Marine, la guerre de 14-18 se
déclara. Timonier sur torpilleurs, sous-marins et
autres navires, il étudia seul et réussit
à passer lexamen de capitaine de la marine
marchande après la guerre.
Commandant en second du Thérèse-Horn, il
fit des voyages aux Amériques et en Baltique avant de
tomber de treize mètres dans la cale sèche de
Saint Nazaire. Grièvement blessé, il
réussit cependant à entrer au service du
pilotage de Saint-Malo-Saint-Servan.
Il sefforça malgré linertie
de ses collègues daméliorer le service
par lachat dun bateau à moteur et la
reprise des travaux de clôture du passage du Nay
transformer l'avant-port, (le bassin Vauban, de bassin de
marée en bassin à flot.
Il fit plusieurs sauvetages de navires
échoués, risquant de se briser, ou de
personnes. Cest lui qui déclencha lalerte
depuis le port de Saint-Cast, où il ramena les
premiers survivants de léquipage du
Laplace.
Il passa avec lEider, un trois-mâts
terre-neuvas, entre le Grand Bey et le Petit Bey pour le
rentrer au port, à la voile et sans remorqueur.
Pionnier de la Société nautique de la baie de
Saint-Malo, il adorait les régates. Il eut le plaisir
de piloter le Pamir, quatre mâts qui tournait un film
dans la baie de Saint-Malo. Quelques mois après, ce
navire sombra.
Au début de la guerre, il fut élu en son
absence comme président du syndicat des pilotes,
charge difficile, quil accepta cependant. Il obligea
ses pilotes à faire le minimum de ce que les
Allemands exigeaient. Quoique se sachant surveillé,
il refusa souvent dobéir aux ordres.
Très modeste, il déclara après la
guerre, quaucun des pilotes du syndicat
nétait digne de recevoir une décoration
et il refusa de recevoir la médaille du Mérite
maritime après laffaire du Laplace. Le
paragraphe suivant est tiré de ses souvenirs de
marin, écrits dans les années 70.
En dehors du service du pilotage ordinaire, je dois
relater ce qui s'est déroulé durant la guerre
1939-1945 dans notre station du port de Saint-Malo. Lors des
premiers mois de la guerre, le trafic du port de Saint-Malo
devint presque nul. Cela changea rapidement en 1940, quand
les Allemands commencèrent l'invasion de la Belgique.
Les déchargements qui se faisaient dans les ports
d'Anvers et du Nord diminuèrent par crainte de
l'occupation. Les ports de l'ouest augmentèrent leur
trafic. Celui de Saint-Malo eut un mouvement quotidien de
plus de cinquante navires. Les pilotes étaient sur
les dents. Si la Luftwaffe était venue dans nos
ports, il y aurait eu de gros dégâts. Aucun
navire n'était armé, ni accompagné.
Plusieurs avaient des troupes à bord, d'autres du
matériel de guerre. Il n'y avait aucun poste de
D.C.A. dans la région. Quand les ennemis
approchèrent, il n'y eu pas de résistance. Les
navires retournèrent précipitamment
chargés de guerriers au point que pilotant le dernier
vapeur vers les onze heures du soir, j'eu toutes les
difficultés pour me rendre de la passerelle à
la vedette du pilotage navigant près du navire. Les
soldats anglais étaient entassés comme des
haricots dans une boite de conserve. Je n'arrivais pas
à me frayer un chemin jusqu'à la coupée
et mis un temps fou pour atteindre un côté de
la lisse. Point d'échelle de pilote. J'ai pu saisir
un bout de filin d'une embarcation de sauvetage
située sur le pont et je me laissais affaler le long
du bord. Il n'y avait aucune lumière de part et
d'autre et pour cause. Il faisait très noir.
Heureusement, le matelot-pilote, veillant bien,
m'aperçut pendu à la corde. Le capitaine
anglais avait fait stopper la machine pour me permettre de
débarquer et estimant vu le temps
écoulé, que je devais être
dégagé, ce qui n'était pas le cas,
avait fait remettre en route. Je me trouvais dans une
situation dangereuse et n'aurais pas tenu longtemps le long
du bord, sans la vigilance de notre matelot. Cela me permit
de sauter sur le pont de la chaloupe. Peu de temps
après le départ des alliés,
l'armée allemande occupait la place. Aussitôt,
nous fûmes réquisitionnés pour servir
dans nos limites de pilotage les navires qui auraient
recours à nos services. C'est d'ailleurs, ce qui se
passa dans tous les ports de France. En janvier, au cours
d'une réunion syndicale à laquelle
j'étais absent, je fus désigné pour
prendre la charge de président du syndicat. Quoique
cela présenta des difficultés, j'acceptais. On
nous forçait à travailler avec des salaires
dérisoires. A mes réclamations, on me
répondait : « Les Français ont
occupé le Rhin pendant un an et employèrent
les pilotes, sans les payer ». On nous rendait la
pareille ! Toutefois, ils comprirent qu'à ce
régime, ils ne gagneraient pas. C'est alors que nous
avons commencé à être payés
mensuellement d'une somme fixe, juste de quoi ne pas mourir
de faim. Nous n'avions pas le choix. En temps que chef, je
fus souvent appelé à la Kommandantur. Lorsque
les Allemands, établirent le premier barrage de filet
de fer à la grande écluse, ils
ordonnèrent aux pilotes d'aider à la mise en
place de ce filet. Aussitôt prévenu, je m'y
opposais, déclarant à la Kommandantur, que
nous étions pilotes pour servir les navires et non
pour faire des manoeuvres. J'appris, que le Hafenkommandant
fut froissé de ma démarche. Il en fut ainsi
pour les navires. Ils voulaient que nous les conduisions aux
îles anglo-normandes et aux petits ports de la
côte. J'ai toujours insisté pour que nous ne
sortions pas des limites de notre station. Soulignant, qu'en
cas d'accident, nous n'étions pas couverts par
l'Administration maritime française, que nous devions
rester dans les parages de notre station et que nous ne
devions pas remplir d'autre service. L'Hafenkommandant qui,
avant la guerre, remplissait la fonction de chef d'armement
d'une société de pêche était
très conciliant. Il n'eut pas l'intention de
s'imposer. Pendant le temps qu'il passa à Saint-Malo,
il fît son possible pour être favorable aux
demandes des marins-pêcheurs de la région.
C'est ainsi que prenant leur défense, j'ai pu obtenir
de lui que les pêcheurs puissent s'éloigner
à une dizaine de milles de la côte. Distance
nécessaire pour pêcher. Ces sentiments
profrançais lui furent défavorables. Quand les
Allemands envahirent une partie de la Russie, il fut
licencié et envoyé à Odessa où,
descendu avec une quarantaine de soldats dans un
hôtel, il fut tué avec tous les autres
occupants, quand l'hôtel piégé avec une
bombe à retardement sauta.
Le R021, parti sans pilote, brisé sur Les
Courtils11
En
1941, un pilote allemand, du grade de capitaine prit la
surveillance du pilotage. Au premier abord, purement nazi,
très intelligent, il comprit qu'il lui faudrait
changer de tactique. Bientôt, sa présence ne
fut pas désagréable. En 1943, l'aviation
alliée ayant bombardé Cuxhaven, sa demeure et
toute sa famille, femme, belle-mère et son fils
furent anéantis. Alors là, complètement
déprimé, il changea totalement. Le
désespoir le gagna. Un jour au bureau du pilotage, il
me posa cette question : « Monsieur Puisné, que
pensez-vous de la guerre ? ». Je ne lui cachais pas mon
opinion que l'Allemagne filait un mauvais coton. Je sus que
plus tard, au mess où il déjeunait, il eut,
vis-à-vis de ses concitoyens, des propos
déplacés sur le Reich. Dénoncé,
il fut arrêté, conduit à la prison de
l'Espérance et là, obligé de se tirer
une balle dans la tête. Je devais, me rendre souvent
à la Kommandantur, prendre les ordres concernant
notre service. La réception du nouvel
Hafenkommandant, n'était plus la même.
Heureusement, que j'ai pu gagner la sympathie de
l'interprète12,
une femme très intelligente dont le mari était
prisonnier en Allemagne. Elle m'a parfois tiré
d'embarras auprès des autorités. Lorsque le
premier bateau français passa par le détroit
de Gibraltar, je fus interpellé par l'ancien colonel
Cardan, (dont j'ignorais à l'époque, les
idées germanophiles). Je pris sérieusement, la
défense des Anglais et comme plus tard, j'apprenais
par l'intermédiaire de l'interprète, que
j'étais surveillé par la police allemande, je
n'ai pas douté un seul instant que ce ne pouvait
être que ce colonel qui m'avait dénoncé.
Nous n'étions évidemment pas bien vus des
Allemands. J'eus l'idée, quand j'appris la mort de
l'ancien Hafenkommandant, d'envoyer à sa femme, une
carte de condoléances. J'en fis part à tous
mes collègues qui approuvèrent l'idée
et remis cette carte aux Allemands. Je pensais, par ce
procédé, qui d'ailleurs, n'avait aucun but
militaire, diminuer les soupçons à notre
égard. Je crois qu'il fit son effet, car nous avons
été moins inquiétés, sans que
cela change quoique ce soit à notre opinion. Aucun
des pilotes, n'avait d'idées pro-allemandes. La
bordée (Lucas, Legall, Puisné) fut
rappelée à l'ordre pour mauvaise
volonté au travail. Plusieurs fois, pendant
l'occupation, j'ai été convoqué devant
des autorités, pour rappel à l'ordre. On me
reprocha :
1ère de ne pas faire assurer le
travail dans de meilleurs conditions.
2ème de ne pas m'être
présenté à la cale de la porte de
Dinan, à l'heure arrêtée la veille, pour
piloter notre vedette qui devait remorquer des cibles pour
un tir qui devait avoir lieu à l'aube. Cet exercice
échoua, vu qu'il n'y avait pas de pilote pour
conduire les bâtiments mobilisés en la
circonstance. Je devais me présenter à quatre
heures alors quil était six heures quand je
suis arrivé.
3ème étant chef du
matériel, de ne pas surveiller ou faire surveiller
les consommations d'huile et de gas-oil de notre vedette, ce
qui faisait l'affaire de plusieurs resquilleurs. Je
répondais que je n'étais pas le gardien et
qu'ils n'avaient qu'à détacher eux-mêmes
un soldat jour et nuit à bord. Il est vrai, que ne
touchant qu'une faible indemnité pour l'utilisation
de nos bateaux-pilotes, je n'ai cessé de faire faire
le plus de réparations possibles et de peinture de la
coque. La consommation était en effet
considérable, je n'ai jamais fait aux matelots, la
moindre observation à ce sujet. N'ayant aucune
confiance en nous pour les sorties et entrées des
navires, la Kommandantur fit venir quatre pilotes allemands
du port de Hambourg, pour les mouvements des navires qui
transportaient des troupes. Nous ne fûmes jamais en
contact avec ces pilotes et ne nous adressâmes jamais
la parole. Il semble qu'ils avaient reçu l'ordre de
nous éviter.
Durant l'hiver 1940-41, par l'intermédiaire
d'amis, je me mis en relations avec un chef de la
Résistance. Ayant des renseignements auprès de
l'interprète précitée, j'informais
cette personnalité sur tout ce qui pouvait
l'intéresser. Il était fréquemment
absent de Saint-Malo, on ne s'écrivait pas et pour
cause. Lors de ses passages, nous nous rencontrions, chez
les amis qui me l'avaient fait connaître, ou on se
promenait sur les quais. Je l'instruisais sur les mouvements
du port. Je lui fis remarquer que les convois et ils
étaient nombreux, à destination des îles
Anglo-normandes n'étaient jamais attaqués par
les avions en cours de route. Il me répondit. «
Laissez-les faire. Ces îles ne seront pas
attaquées par les alliés. Leur position
stratégique n'a aucune importance. Tout ce trafic
mobilise du matériel et du personnel dont les
Allemands pourraient tirer un meilleur parti. Toutefois, les
avions feront quand même de temps à autre leur
apparition. Faîtes attention à ne jamais
laisser vos collègues s'éloigner de votre
station. Il peut se produire une attaque un jour ou l'autre
». Un lundi matin, nous trouvant tous les deux sur le
pont d'éclusage du bassin Duguay-Trouin, je lui
signalais un cargo, le R10 chargeant des munitions à
destination de Guernesey. Ce navire devait quitter le port
le mercredi suivant. « Monsieur, me dit-il, regardez le
bien, je saurai exactement l'heure de son départ,
vous ne le reverrez plus ». Effectivement, ce navire,
quelques milles avant son arrivée à
destination, fut bombardé et coula. Ce fut le premier
attaqué par des avions. Ces quelques attaques,
obligeaient l'ennemi à conserver une certaine flotte
en patrouille dans la baie de Saint-Malo. J'avais en
mémoire, ce qui m'avait été dit. Le
vapeur Normand devait appareiller de Saint-Malo et se rendre
à Granville. La Kommandantur demanda un pilote pour
le conduire à ce port. Je répondis par
téléphone que le pilote Guéras
étant de service ce jour sortira le navire
jusqu'à la limite de notre station et
débarquera à cet endroit. L'Hafenkommandant
insista. Dans l'intervalle, j'avais informé
l'Administrateur de l'Inscription maritime qui
m'approuvait13.
Aussi, fort de cet appui, je refusai de nouveau. Le Normand
appareilla, il dut continuer sa route sans la
présence du pilote, celui-ci ayant
débarqué à la bouée d'atterrage,
qui est le point ou en général, le pilote
quitte le navire, celui-ci étant hors de danger. Une
autre fois, étant moi-même de service. Le
remorqueur Le Malouin se trouvant à l'écluse,
demandait un pilote pour aller à Saint-Brieuc.
J'informais le capitaine du remorqueur que la limite du
pilotage se terminait à Erquy et que je ne
connaissais pas la navigation côtière au
delà. Le remorqueur rentra au bassin. J'ai fait de
même pour tous les remorqueurs, qui toutes les nuits
étaient mouillés en rade se tenant prêts
à porter secours aux navires attaqués en mer.
J'ai réclamé et obtenu qu'aucun de nous ne
couche à bord, comme ils l'exigeaient. La
troisième fois je déclarais que mes
connaissances étaient nulles pour aller
déséchouer une vedette avant l'écluse
du Chatelier en Rance, que je ne connaissais pas ce lieu
situé en dehors des limites du pilotage. Je
déclinais toute responsabilité. En d'autres
circonstances évidemment, je n'aurais pas agi de la
sorte. Un autre pilote dont je ne citerai pas le nom accepta
de se rendre pour déséchouer cette vedette. Je
lui en fis, après coup, le reproche, ainsi qu'une
autre fois où il accompagna l'Hafenkomandant à
l'île de Bréhat. J'appris également,
alors que j'avais quitté la station pour aller me
réfugier dans les Côtes du Nord, qu'il pilota
un bateau-citerne pour ravitailler en eau douce, les avisos
allemands au mouillage en Rance devant le petit port de
Saint-Suliac.
Un des navires en Rance15
Photo prise depuis leur propriété de la
Passagère par l'oncle de Jean Renaut
Ayant fait tout mon possible, avec tous les risques
encourus vis à vis de l'ennemi pour qu'aucun pilote
ne s'éloigne de la station, pour laquelle nous
étions réquisitionnés, je ne pouvais
admettre que quiconque déroge à cette question
quels que soient ses intérêts personnels.
Aussitôt après la Libération sous les
menaces que ce collègue fit à diverses
personnes dont moi-même, j'ai dû signaler son
cas au chef de la Résistance de Rennes. Après
mes démarches, s'apercevant qu'il avait fait fausse
route, il voulut se réhabiliter et me tendre la main.
Je ne l'entendais pas de cette façon. Ces menaces
étaient graves et auraient pu avoir de grandes
conséquences, à cette époque. Jamais,
je ne lui ai pardonné, jusqu'à sa
mort16.
Le 27 juillet 194417,
j'ai volontairement manqué le dernier convoi qui
partait de la rade de Saint-Malo. Le matelot allemand
employé à notre service menaça de me
signaler à la Kommandantur. D'autant que le 23 du
même mois, en juin 44, un
avion canadien touché par la D.C.A. vint
s'abattre à une petite distance, au large de la digue
de Paramé. La mer en cet endroit n'asséchant
pas, les Allemands, réquisitionnèrent un
bateau sablier, le Quentovic, le mouillèrent au
dessus de l'avion submergé et avec le concours de
scaphandriers, le fixèrent en cravate sous la coque
du sablier par quatre câbles d'acier. Étant de
service, je fus appelé pour me rendre sur le
remorqueur afin de prendre en remorque le Quentovic et le
ramener au port. Appareillé de l'endroit
précité, je fis faire d'abord, machine en
avant doucement, comme on me l'avait recommandé, puis
ayant pris du large pour contourner les rochers de "la
Grande Côtière" qui se trouvaient sur notre
gauche, je profitais d'un peu de houle pour
accélérer la vitesse. La casse ne se fit pas
attendre. J'entendis bien les cris de l'équipage du
bateau remorqué, mais me trouvant à une bonne
distance vu la longueur du câble, je fis la sourde
oreille, feignant de ne pas comprendre leurs gestes. En
quelques secondes, les amarres retenant l'avion,
cassèrent les unes après les autres. Ce
dernier retourna par le fond avec une plus grande hauteur
d'eau. Il est certain que l'épave se disloqua. Cela
se passait un vendredi après-midi. Les bureaux de la
Kommandantur fermaient le samedi. Je n'ai pas attendu
d'être interpellé le lundi suivant pour
répondre aux questions qui m'auraient
été posées. Sachant par
l'interprète que j'étais souligné
à l'encre rouge, je me doutais de ce qui me serait
arrivé. Je m'attendais a être convoqué
par la Kommandantur et je m'étais mis d'accord avec
l'homme qui se trouvait a la barre du remorqueur (le
capitaine était absent) pour déclarer, que
nous devions avoir cette vitesse pour gouverner avec le vent
debout. Je m'en serais voulu de ramener cet avion au
port18.
Sitôt de retour au port, je rejoignis ma famille, nous
quittâmes précipitamment le château de la
Ville-Huchet où nous étions
réfugiés pour nous rendre avec mon
bateau19
de l'autre coté de la Rance, à La Landriais.
Trois semaines plus tard, l'armée américaine
se trouvait à proximité de Saint-Malo. Je
n'avais plus rien à craindre de la part des
Allemands.
Saint-Malo étant dégagé de
l'occupant allemand, on commença à respirer.
Le trafic du port reprit, surtout en approvisionnement de
charbon. Tous les jours, plusieurs navires arrivaient
chargés. Monsieur l'Administrateur de l'Inscription
Maritime, dont j'ai parlé plus haut quitta notre
station pour prendre à Paris, la Direction
générale de la Marine Marchande de France et
d'Outre-mer. Il m'adressa le télégramme
suivant :
Pendant l'occupation, dans le but d'améliorer
notre alimentation, je me servais de mon bateau de
plaisance, quand j'étais libre, pour me rendre en mer
à la pêche au maquereau. Un jour que je me
trouvais seul à quatre milles de la côte, un
avion20
allié s'étant approché de Saint-Malo,
la D.C.A. entra en action. La trajectoire des balles qui
passaient au dessus et au dessous de l'avion était
dans ma direction. Durant quelques instants, ce fut un
véritable grain de grêle qui tomba autour de
moi. Cela giclait de toutes parts, sur la surface de l'eau
qui était calme. Je n'avais aucun abri sur mon
bateau, c'est un miracle qu'aucune balle ne m'atteignit. Une
deuxième fois, nous étions plusieurs
embarcations à cinq ou six milles au large,
pêchant le maquereau ; Quand tout à coup, des
obus tirés de la côte tombèrent parmi
nous. En vitesse, nous quittâmes les lieux. Aucun
pêcheur ne fut atteint. Une troisième fois,
ayant mouillé pour la nuit, un filet le long du
coté est de l'île Agot, près de
Saint-Briac. Je m'y rendais le lendemain matin sur
l'Altaïr avec ma fille pour en reprendre possession. Je
me servais de ma plate, tandis que ma fille restait sur le
bateau. Je terminais mon travail, lorsque des obus,
provenant d'un champ de tir dont j'ignorais l'existence,
pleuvaient sur l'îlot près duquel nous
étions. Ils passèrent a quelques mètres
au dessus de nos têtes. Geo, apeurée se laissa
tomber a plat ventre sur le tillac. Le moteur étant
en marche, je filais au plus vite, vers un abri de la
côte, attendre que les Allemands cessent leurs tirs.
La dernière fois, je l'ai échappé
belle. L'Altaïr, se trouvant sur son tangon au port
Saint-Père, je me servais de ma plate pour
débarquer. Je venais à peine de quitter le
bord, quand un obus tiré d'un fortin situé sur
la pointe de la Vicomté, à quinze cent
mètres, alla s'écraser sur les rochers
à une trentaine de mètres. Je godillai
précipitamment pour m'éloigner de leur tir.
Trente secondes ne s'étaient pas
écoulées, qu'un deuxième obus me
sifflait à l'oreille ; J'étais pris pour
cible. Il n'y avait aucun témoin sur la grève,
c'était l'heure du déjeuner. Échouant
vivement ma plate, je courrai pour me rapprocher des maisons
qui bordent la rive en maudissant ces cochons d'ennemis.
Mais on constate que l'intérim, s'il a eu lieu
a du être très court, puisque le mois suivant,
mon père est toujours chef du syndicat des pilotes de
Saint-Malo. D'ailleurs, une lettre du Secrétaire
Général de la Marine Marchande M.
Anduze-Faris, informé de cette nomination, demande un
dossier complet faisant ressortir la nécessité
de nommer un autre chef du pilotage à Saint-Malo,
tout en soulignant que les fonctions provisoires de M. Hunot
cesseront du jour de sa propre décision.
J'avais fait en 2010 à Mérignac, la
connaissance de Jean-Michel Gravaud, neveu d'un navigant des
Groupes Lourds tué au combat. Après avoir lu
les souvenirs de mon père, il m'a mis en relation
avec Monsieur Jean-Michel Martin de l'ABSA 39-45. J'avais
aussi lu l'excellent livre de Monsieur Emmanuel Feige
concernant les épaves des environs de Saint-Malo. Le
6 juin 2012, Jean-Michel Martin a prévenu J-M Gravaud
qu'un moteur Allison aurait été
récupéré par un pêcheur qui l'a
abandonné sur la cale de Dinan. Le directeur du
Mémorial 39-45 de Saint-Malo, Monsieur Eric Peyle, a
réussi de justesse à le sauver avant qu'il ne
finisse à la ferraille. Monsieur Jean-Michel Martin
est venu a la Cité d'Aleth et l'a examiné.
C'est bien un moteur de P-38 Lightning, 12 cylindres en V.
Et ayant vérifié les types d'avions abattus
pendant la guerre, il se trouve qu'il n'y a qu'un P-38
immergé. Ce serait donc bien l'avion que mon
père a volontairement coulé pour que les
Allemands ne puissent le récupérer. Je suis
très heureux que le récit de mon père
soit ainsi confirmé soixante-huit ans après
cette action osée. Le 30 juillet 2012, en compagnie
de Messieurs Jean-Michel Martin, Michel Docini et Pierre
Mahé de lABSA, Emmanuel Feige et Jean-Michel
Gravaud nayant malheureusement pu venir, jai pu
voir ce moteur dans les souterrains du fort. Guillemette
Renaut maccompagnait. Ce moteur salé devrait
être lavé, séché et traité
avant quil ne se décompose dans ce boyau
humide.
Merci à Monsieur Jean-Pol Puisné pour nous avoir
transmis les récits de son père Monsieur Hyppolite
Puisné
ABSA 39-45, août 2012