J'avais 15 ans, et je me souviens bien de cette période au cours de laquelle mes parents avaient aidé des Aviateurs Américains, tombés de la Forteresse volante qui s 'écrasa à Trémeleuc en Plémet le 23 septembre 1943. Ils furent hébergés une semaine dans la gare proche de chez nous. Pour dîner ils venaient chez nous et passaient la soirée en notre compagnie. Ils s'appelaient Philipp Higdon, Louis Rittet Willard Cronin. Le lieutenant Higdon fut hébergé deux jours chez Monsieur Le Boudec à "La Ville Méen" puis récupéré ensuite par le dentiste Lafarge et aidé du Gendarme Toupin il rejoignit ses deux camarades cachés dans l'école des Frères au bourg de Plouguenast, école Saint Pierre à l'époque. La fréquence des visites régulières, afin de subvenir à leurs besoins essentiels, attira l'attention. Il était devenu urgent de les réorienter dans un lieu plus discret. Mon père Monsieur Armand URVOY accepta sans hésiter de s'en occuper et de les cacher. Un soir à la tombée de la nuit ils arrivèrent chez nous. Je les vois encore arriver, accompagnés de Madame Metayer qui était sage femme ainsi que son frère Monsieur Louis Denis et du gendarme Toupin. Dès leur arrivée, les trois aviateurs expliquèrent qu'ils étaient affamés, n'ayant pas été ravitaillés dans la journée. Ma mère s'empressa de leur cuisiner un civet de lapin qu'elle avait prévu pour le jour suivant. Ayant mangé, ils dirent avoir apprécié en faisant des gestes et remercièrent ma mère. Ce soir là, le sergent Cronin nous fit voir ses cicatrices. Il avait été blessé en plusieurs endroits, lors d'une mission de bombardement sur Kassel en Allemagne. Après le repas, la nuit étant tombée mon père les dirigea sur cette gare désaffectée de Saint-Théo située à 300 mètres de notre domicile.
Ancienne gare désaffectée de Saint-Théo
Revue d'histoire N°20 de l'Association des Chemins de Fer des Côtes-du-Nord. édité en partenariat avec le Centre de Ressource du Patrimoine Culturel Marc-Le-Bris. Photo Laurent Goulhen.
Mon père avait choisi de construire notre maison en proximité de la gare, car il était ferronnier et son atelier était tout proche. Il fabriquait des pentures et des gonds pour le bâtiment. Ainsi c'était facile pour expédier ses colis. Les aviateurs furent bien cachés dans les dépendances. Ils y passaient la journée et la nuit mais entre temps le soir ils nous rejoignaient. Ils prenaient des précautions pour arriver chez nous. Il ne fallait pas qu'ils soient découverts. Le midi, l'un d'entre nous leur apportait leur repas caché dans une brouette, le tout bien dissimulé, souvent sous des fagots. Ma mère, le soir leur faisait de bons repas. Ces repas nous le prenions en famille. Ils étaient jeunes et avaient dans les âges de mes deux frères Emile, 22 ans et Jean, 20 ans. Le soir nos volets étaient toujours fermés. Il ne fallait pas que la lumière soit repérée. C'était un ordre de l'occupant. Un soir, nous étions à table, quand soudain on entendit frapper. Silence immédiat. Mon père calmement se rendit à la porte. Deux allemands lui demandèrent leur route. Mon père fit en sorte de les éloigner au plus vite, leur indiquant la direction à prendre. Pendant les repas, bien que nous ne parlions pas la même langue, les conversations allaient bon train. Nous essayions de nous comprendre mutuellement. Nous nous étions procuré un dictionnaire Anglais Français. Ces hommes étaient, depuis leur arrivée à Plouguenast, habillés en vêtements civils bien évidemment. Rien ne laissait supposer qu'ils étaient étrangers. Ils avaient une bonne éducation et étaient très polis. Le lieutenant Ritt faisait très jeune. On lui donnait 18 ans (il avait 24 ans). Il était toujours sur le qui vive. Toujours en alerte au moindre bruit suspect. Après une semaine, leur départ fût décidé. Avant de nous quitter, le Lieutenant Higdon demanda notre dictionnaire et écrivit sur un papier ''Vous, très bons'' et le remis à mes parents. Le départ fut fixé à 4 heures du matin. C'était très risqué mais il fallait absolument qu'ils changent de lieu. Le gendarme Toupin accompagna mon père. Les aviateurs étaient cachés parmi des bidons dans l'arrière de la camionnette C4 Citroën. Ils prirent la route de Loudéac où ils étaient attendus au garage Michard. Il fallait à tout prix éviter les patrouilles allemandes. Au petit matin la C4 se présenta devant la porte du garage, Mademoiselle Denise Michard ouvrit cette porte et la referma aussitôt. Elle les attendait. Immédiatement, les trois Américains furent cachés dans la maison familiale juste derrière le garage. A l'autre extrémité un officier allemand s'était installé depuis plusieurs mois. Il avait entendu la porte s'ouvrir et se refermer. Il interrogeât la jeune fille dans la matinée. Celle-ci répondit qu'elle s'était trompée dans la programmation de son réveil car elle souhaitait se rendre à la messe. ''Je me suis levée bien trop tôt !'' dit elle. L'officier n'y fit pas attention. La camionnette marchait à l'essence, une denrée rare pendant la guerre. Mon père arrivait à faire fonctionner le moteur avec un mélange à base d'alcool à brûler. Les trois aviateurs Américains restèrent une journée en ce lieu. On avait prit soin de les habiller dans des vêtements propres et bien à leur taille. Il fût convenu aussitôt de leur départ vers Paris où ils devaient rejoindre une filière d'évasion. Mademoiselle Lecoq de Pontivy vint pour les accompagner. Tous avaient été munis de fausses cartes d'identité. A l'arrivée du train en gare de Loudéac tous montèrent à bord. Stupeur ! Il y avait un nombre important d'officiers Allemands dans les compartiments. Elle avait pris soin d'acheter trois journaux au kiosque de la gare dont elle remit un exemplaire à chacun. Ils ne comprenaient rien à ce qui était écrit, mais cela faisait plus vrai. Quand à Mademoiselle Lecoq, pour détourner l'attention, elle amusa au maximum les Allemands qui ne remarquèrent rien. Le train arriva à Paris et là, elle confia les trois Américains à de nouveaux hébergeurs. Une lettre de l'un d'eux après guerre adressée à mon père, nous informa qu'ils avaient été faits prisonniers en voulant franchir la frontière espagnole. Leur arrestation eut lieu le 16 décembre 1943. Ils finirent la guerre dans un Stalag pour aviateurs alliés en Allemagne. Monsieur Armand Urvoy et Mademoiselle Denise Michard dans une autre mission, convoyèrent aussi les trois sergents américains, du même équipage. Les sergents Bollinger, Kallas et Kelly eux aussi tombés sur Plouguenast. Voir récit dans cette biographie. Les deux fils de Monsieur Urvoy, Emile et Jean, furent victimes de la barbarie Nazie, exécutés dans la forêt de Lorge en juillet 1944. Après guerre, Monsieur Armand Urvoy reçu une lettre de remerciements du Président des Etats-Unis d'Amérique Eisenhower. Merci à Madame Loncle pour son témoignage et son aimable accueil.
Monsieur Armand Urvoy