Jeudi 03 août 1944

Evran

Piper L4

A la mémoire de son pilote le, 1st Lt. John Roscoe Durkee

LA WERMACHT RÉOCCUPE EVRAN...

 

Les Allemands, au matin du 3 août, sont dispersés un peu partout dans la campagne autour d'Evran. Maurice Le Métayer qui a seize ans (le futur curé dEvran ) a décidé d'aller avec un cousin de son âge, Charles Macé, de la Ville Thual où il réside, voir s'il reste encore quelques américains au bourg. II raconte: "Le 2 août, nous avions, mon cousin et moi, partagé la liesse générale... La guerre allait finir... On ne verrait plus les Allemands. Nous admirions la puissance de la colonne blindée américaine et établissions des comparaisons entre cette débauche de moyens et ceux de l'ennemi avec ses vélos et ses charrettes.

Peu de jours avant l'arrivée de nos libérateurs, nous avions pu, en effet, nous en apercevoir, les voyant passer sur la petite route de Pleugueneuc. Se dirigeant en ce modeste équipage vers le front de Normandie, ils furent attaqués et bombardés par la Royal Air Force, juste en haut de la côte de la Ricoltais.

Si la joie fut pour le 2 août, l'aventure, elle, fut pour le lendemain... ".

Habitant á l'époque la Ville Thual, Maurice Le Métayer et son cousin décidèrent de gagner Evran après le repas du midi, "histoire de voir s'il ne restait pas quelques Américains afin d'utiliser les mots d'anglais que nous connaissions; éventuellement récupérer aussi quelques paquets de cigarettes et tablettes de chocolat...".

Lorsque les deux adolescents arrivèrent au bourg, celui-ci était vide et silencieux. Ils décident alors de regagner la Ville Thual par le "chemin des écoliers", en prenant la route de Plesder, où pensent-ils, la chance de rencontrer des Américains est plus grande.

Poussant leur bicyclette á la main, les garçons, engagés dans la petite côte, viennent á peine de dépasser la ferme des Ronces, qu'un coup de sifflet impératif les cloue sur place.

Un soldat allemand se détache du talus où il était dissimulé sur la droite et leur fait signe de s'approcher. "Que faire?... Fuir? II est armé et pourrait facilement nous abattre... Nous nous dirigeons donc vers le soldat qui franchissant le talus vient vers nous.

Il débouche sur la route et, avant d'arriver á notre hauteur, lance d'un fort, accent germanique: "Vous F.F.I" (c'est ainsi que parfois les Allemands appelaient les résistants). Nous faisons signe que non et montrons que nous ne portons pas d'armes. Continuant notre progression le long du bas côté, sur l'herbe, il se penche pour y ramasser et regarde un instant et nous dit d'une voix rauque: "Fusil allemand, Camarade kaput' (mort). Le plaçant sur l'épaule, il ajoute: "Vous... Venir avec moi ". C'est alors que commence la grande peur !

 

DES LENDEMAINS QUI DÉCHANTENT

 

Le jeudi 3 août, le silence est retombé sur Evran et sa région. Des brassards F.F.I. fleurissent un peu partout sur les bras de certains Evrannais.

Faisant suite á la liesse de la liberté provisoirement retrouvée, la tragédie va prendre le relais. Louis Hénion a été prévenu qu'il y aurait encore, dans le secteur de Bétineuc, un petit groupe d'Allemands qui semble prêt á se rendre. I1 décide donc, avec une dizaine d'autres compagnons ; de s'en occuper sans tarder. L'ennemi est effectivement á l'endroit indiqué, entre le village de Bétineuc et les abords de la route de Saint-René.

Un seul point cependant ne cadre pas tout á fait avec la réalité et il est de taille. En lieu et place d'un nombre restreint d'Allemands démoralisés et prêts á rendre les armes, ils sont là au moins cent cinquante, fortement armés et tout á fait résolus á en découdre.

Les mitraillettes Sten et les pistolets des Evrannais sont bien dérisoires face á la puissance de feu allemande. Georges Vaugru qui fait fonction d'éclaireur de tête est tué á l'entrée de Bétineuc, prés du pont du Guinefort. Un dur combat s'engage á quelques centaines de mètres environ du carrefour sur la route de Saint-René. Voyant que le rapport de force est par trop inégal, Louis Hénion donne l'ordre de repli. Au cours du décrochage quatre Allemands sont tués et deux autres blessés grièvement. La plupart sont victimes du tir du chef de groupe. Lâchant rafale sur rafale, il protège la retraite de ses camarades. Au moment ou la pression de l'ennemi se fait plus forte, le percuteur de sa Sten claque dans le vide ; l'Evrannais est á court de munitions. I1 jette sa mitraillette devenue inutile et lève les bras pour se rendre. Le geste est superflu car le premier Allemand arrivé á sa hauteur, á deux cents mètres du carrefour, au bord du talus de gauche en direction de Saint-René, l'abat á bout portant, d'une rafale de pistolet mitrailleur en pleine poitrine.

C'est le frère de Louis Hénion, Étienne, qui ira, un peu plus tard, chercher les corps pour les ramener provisoirement dans une grange de la maison Rioche, á l'Hôpital, á la sortie sud d'Evran.

Une seconde tragédie se déroule également, le même jour, á l'autre extrémité de la grande prairie de Bétineuc (le plan d'eau actuel), en face de la Basse Rivière.

 

Piper

Dans l'ancienne prairie de Bétineuc, la carcasse calcinée du Piper d'observation prés duquel son pilote, John Durkee, trouva la mort le 3 aoùt 1944 (Photos, collection Francis Hervy).

 

Bien qu'il n'y ait plus de convois américains á passer, des avions d'observation continuent á voler de temps á autre dans le ciel évrannais, afin de signaler tout mouvement de troupe éventuel. L'un de ceux-ci, un Piper L4 Grasshoper, petit avion d'observation dérivé de la version civile du fameux Piper Cub, doit se poser á court de carburant sur la vaste étendue libre d'obstacles que le pilote aperçoit sous ses ailes.

Apparemment tout est tranquille, il n'y remarque rien d'anormal. Averti par radio des difficultés rencontrées par son camarade, John Durkee, le pilote d'un autre Piper se pose á son tour dans la prairie et s'arrête á quelques dizaines de mètres du premier appareil. I1 saute du cockpit, un jerrycan d'essence á la main, et se dirige vers l'avion en panne. Le bidon vient d'être vidé entièrement dans le réservoir lorsque des Allemands, jusqu'alors dissimulés sous les arbres et derrière les haies entourant la prairie, se découvrent. Ils ouvrent aussitôt le feu sur les deux pilotes. Le premier réussit, malgré tout, á décoller. John Durkee se précipite vers son Piper, mais il est fauché et tué avant de pouvoir l'atteindre.

Les Allemands incendient l'avion et laissent le corps de l'américain sur place. Le cadavre du pilote restera ainsi, exposé á la chaleur et aux mouches, trois jours durant. Interdiction formelle d'y toucher ; les tireurs embusqués au sommet des arbres en interdissent l'approche. Néanmoins, une main anonyme a réussi dés le premier soir, á la faveur de l'obscurité, á déposer un bouquet de fleurs á proximité du corps étendu dans l'herbe.

II faudra attendre le samedi 5 suivant, pour que deux Evrannais, qui n'avaient pas oublié 1e destin tragique du pilote américain, prennent le risque de récupérer sa dépouille.

Avec les remerciements de M. R Martin d'Evran pour ce récit paru dans Le Chamiard.