LA WERMACHT
RÉOCCUPE EVRAN...
Les Allemands, au matin du 3 août, sont
dispersés un peu partout dans la campagne autour
d'Evran. Maurice Le Métayer qui a seize ans (le futur
curé dEvran ) a décidé d'aller avec un
cousin de son âge, Charles Macé, de la Ville
Thual où il réside, voir s'il reste encore
quelques américains au bourg. II raconte: "Le
2 août, nous avions, mon cousin et moi, partagé
la liesse générale... La guerre allait
finir... On ne verrait plus les Allemands. Nous admirions la
puissance de la colonne blindée américaine et
établissions des comparaisons entre cette
débauche de moyens et ceux de l'ennemi avec ses
vélos et ses charrettes.
Peu de jours avant l'arrivée de nos
libérateurs, nous avions pu, en effet, nous en
apercevoir, les voyant passer sur la petite route de
Pleugueneuc. Se dirigeant en ce modeste équipage vers
le front de Normandie, ils furent attaqués et
bombardés par la Royal Air Force, juste en haut de la
côte de la Ricoltais.
Si la joie fut pour le 2 août, l'aventure, elle,
fut pour le lendemain... ".
Habitant á l'époque la Ville Thual,
Maurice Le Métayer et son cousin
décidèrent de gagner Evran après le
repas du midi, "histoire de voir s'il ne restait pas
quelques Américains afin d'utiliser les mots
d'anglais que nous connaissions; éventuellement
récupérer aussi quelques paquets de cigarettes
et tablettes de chocolat...".
Lorsque les deux adolescents arrivèrent au
bourg, celui-ci était vide et silencieux. Ils
décident alors de regagner la Ville Thual par le
"chemin des écoliers", en prenant la route de
Plesder, où pensent-ils, la chance de rencontrer des
Américains est plus grande.
Poussant leur bicyclette á la main, les
garçons, engagés dans la petite côte,
viennent á peine de dépasser la ferme des
Ronces, qu'un coup de sifflet impératif les cloue sur
place.
Un soldat allemand se détache du talus
où il était dissimulé sur la droite et
leur fait signe de s'approcher. "Que faire?... Fuir? II est
armé et pourrait facilement nous abattre... Nous nous
dirigeons donc vers le soldat qui franchissant le talus
vient vers nous.
Il débouche sur la route et, avant d'arriver
á notre hauteur, lance d'un fort, accent germanique:
"Vous F.F.I" (c'est ainsi que parfois les Allemands
appelaient les résistants). Nous faisons signe que
non et montrons que nous ne portons pas d'armes. Continuant
notre progression le long du bas côté, sur
l'herbe, il se penche pour y ramasser et regarde un instant
et nous dit d'une voix rauque: "Fusil allemand, Camarade
kaput' (mort). Le plaçant sur l'épaule, il
ajoute: "Vous... Venir avec moi ". C'est alors que commence
la grande peur !
DES LENDEMAINS
QUI DÉCHANTENT
Le jeudi 3 août, le silence est retombé
sur Evran et sa région. Des brassards F.F.I.
fleurissent un peu partout sur les bras de certains
Evrannais.
Faisant suite á la liesse de la liberté
provisoirement retrouvée, la tragédie va
prendre le relais. Louis Hénion a été
prévenu qu'il y aurait encore, dans le secteur de
Bétineuc, un petit groupe d'Allemands qui semble
prêt á se rendre. I1 décide donc, avec
une dizaine d'autres compagnons ; de s'en occuper sans
tarder. L'ennemi est effectivement á l'endroit
indiqué, entre le village de Bétineuc et les
abords de la route de Saint-René.
Un seul point cependant ne cadre pas tout á
fait avec la réalité et il est de taille. En
lieu et place d'un nombre restreint d'Allemands
démoralisés et prêts á rendre les
armes, ils sont là au moins cent cinquante, fortement
armés et tout á fait résolus á
en découdre.
Les mitraillettes Sten et les pistolets des Evrannais
sont bien dérisoires face á la puissance de
feu allemande. Georges Vaugru qui fait fonction
d'éclaireur de tête est tué á
l'entrée de Bétineuc, prés du pont du
Guinefort. Un dur combat s'engage á quelques
centaines de mètres environ du carrefour sur
la route de Saint-René. Voyant que le rapport de
force est par trop inégal, Louis Hénion donne
l'ordre de repli. Au cours du décrochage quatre
Allemands sont tués et deux autres blessés
grièvement. La plupart sont victimes du tir du chef
de groupe. Lâchant rafale sur rafale, il
protège la retraite de ses camarades. Au moment ou la
pression de l'ennemi se fait plus forte, le percuteur de sa
Sten claque dans le vide ; l'Evrannais est á court de
munitions. I1 jette sa mitraillette devenue inutile et
lève les bras pour se rendre. Le geste est superflu
car le premier Allemand arrivé á sa hauteur,
á deux cents mètres du carrefour, au bord du
talus de gauche en direction de Saint-René, l'abat
á bout portant, d'une rafale de pistolet mitrailleur
en pleine poitrine.
C'est le frère de Louis Hénion,
Étienne, qui ira, un peu plus tard, chercher les
corps pour les ramener provisoirement dans une grange de la
maison Rioche, á l'Hôpital, á la sortie
sud d'Evran.
Une seconde tragédie se déroule
également, le même jour, á l'autre
extrémité de la grande prairie de
Bétineuc (le plan d'eau actuel), en face de la Basse
Rivière.
Dans l'ancienne prairie de
Bétineuc, la carcasse calcinée du Piper
d'observation prés duquel son pilote, John Durkee,
trouva la mort le 3 aoùt 1944 (Photos, collection
Francis Hervy).
Bien qu'il n'y ait plus de convois américains
á passer, des avions d'observation continuent
á voler de temps á autre dans le ciel
évrannais, afin de signaler tout mouvement de troupe
éventuel. L'un de ceux-ci, un Piper L4 Grasshoper,
petit avion d'observation dérivé de la version
civile du fameux Piper Cub, doit se poser á court de
carburant sur la vaste étendue libre d'obstacles que
le pilote aperçoit sous ses ailes.
Apparemment tout est tranquille, il n'y remarque rien
d'anormal. Averti par radio des difficultés
rencontrées par son camarade, John Durkee, le pilote
d'un autre Piper se pose á son tour dans la prairie
et s'arrête á quelques dizaines de
mètres du premier appareil. I1 saute du cockpit, un
jerrycan d'essence á la main, et se dirige vers
l'avion en panne. Le bidon vient d'être vidé
entièrement dans le réservoir lorsque des
Allemands, jusqu'alors dissimulés sous les arbres et
derrière les haies entourant la prairie, se
découvrent. Ils ouvrent aussitôt le feu sur les
deux pilotes. Le premier réussit, malgré tout,
á décoller. John Durkee se précipite
vers son Piper, mais il est fauché et tué
avant de pouvoir l'atteindre.
Les Allemands incendient l'avion et laissent le corps
de l'américain sur place. Le cadavre du pilote
restera ainsi, exposé á la chaleur et aux
mouches, trois jours durant. Interdiction formelle d'y
toucher ; les tireurs embusqués au sommet des arbres
en interdissent l'approche. Néanmoins, une main
anonyme a réussi dés le premier soir, á
la faveur de l'obscurité, á déposer un
bouquet de fleurs á proximité du corps
étendu dans l'herbe.
II faudra attendre le samedi 5 suivant, pour que deux
Evrannais, qui n'avaient pas oublié 1e destin
tragique du pilote américain, prennent le risque de
récupérer sa dépouille.
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