Plouigneau Codé VI-? |
Deux chasseurs Mustang de la Royal Air Force venant de l'Est arrivent en rase motte sur Morlaix. Ces appareils sont parmi les premiers P.51 Mustangs livrés à la RAF (photo 1) Ils ont encore le moteur américain "Allison" un peu faible. Plus tard, dans le courant de la guerre, il sera remplacé par le célèbre moteur anglais "Rolls Royce Merlin" , "donnant des ailes" au P.51 qui deviendra alors le premier vrai chasseur à escorter les forteresses volantes jusque dans le cur de l'Allemagne. Mais en attendant, nos deux Mustangs anglais sont utilisés pour des missions "Rhubarb" : attaques d'objectifs au sol. Ces missions sont ainsi baptisées car elles sont réputées avoir un effet laxatif sur les pilotes identique à celui de la rhubarbe, tellement le risque est grand.
Les deux Mustangs ont repéré un train: ils font un virage, piquent et l'attaquent. Le Mustang piloté par Anthony Willcock passe si bas qu'il accroche les fils téléphoniques longeant la voix avec une aile de l'avion. Déséquilibré, l'aile percute le talus et est arrachée, l'avion devient incontrôlable, tournoie et s'écrase à plat, deux cent mètres plus loin, en contrebas dans un vallon.
Jean Denouèl, 16 ans, accourt. Il est un des premiers à découvrir l'épave de l'avion. Perché sur une butte, à quelques mètres au dessus de l'appareil, il sent la chaleur qui se dégage du moteur. Les allemands arrivent et cherchent le pilote qui n'est pas dans l'avion. Le choc a été tellement brutal que le siège a été arraché de la carlingue, et le pilote, encore attaché au siège, a été projeté au travers de la verrière. Jean se mêle aux recherches. C'est lui qui découvre le corps du pilote, dans les fougères : jeune, brun, toujours brélé à son siège, portant un foulard jaune, il a été tué sur le coup. Ce dernier, Anthony Willcock, était le père d'un jeune garçon âgé de six mois. Le pilote anglais sera enterré au cimetière militaire de Guidel, en Bretagne sud. (photo 2)
(photo 2)
Le 4 Août 2010
J'ai fait la connaissance de Jean l'année dernière à l'aéroport de Morlaix, entre un Caudron et un Morane. A 82 ans, passionné d'aviation et en pleine forme, Jean pilote son ULM et il connait par cur l'histoire aéronautique des alentours. En discutant avec lui, l'idée germe d'aller voir le site du crash. Ce fait de guerre l'a marqué. Après la guerre, il a été se recueillir sur la tombe d'Anthony Willcock en Bretagne Sud, tant la vision du P.51 est gravée dans sa mémoire. Par un matin bruineux typiquement breton, nous voilà partis.
(photo 3) (photo 4)
Jean m'amène à côté de la voie ferrée (photo 3), après une ravissante chaumière bretonne et il m'emmène à travers bois. Nous crapahutons dans la forêt, à travers champs sous le crachin et dans la brume. Nous faisons aussi un bon kilomètre à travers un champ de maïs très dense (photo 4). A chaque mètre, les feuilles claquent dans mes lunettes, quel parcours ! Nous arrivons dans un sous bois ravissant et serein(photo 5): j'ai du mal à croire qu'un accident tragique s'est déroulé ici ; Pourtant, Jean est sûr de lui : "par ici, non, pas là, ici ". Sincèrement, j'ai des doutes. Ce crash a eu lieu il y a tellement longtemps ; Mais jean est formel : "ici !" "ici" je ne vois que de la terre, de l'humus, des talus et un ruisseau en contrebas..
Je sors mon XP250, l'allume et là .. Immédiatement, une douille de 12,7mm. Puis une autre . puis des pièces.... le fantôme du P.51 sort de terre. (photo 6)
Après avoir obtenu l'accord du propriétaire du terrain, nous voilà partis. Nous continuons nos recherches et voilà ce que nous trouvons :
Photos 7, 8, 9 Beaucoup de fonte provenant du moteur qui a explosé sous le choc (photo 7), de la structure (photo 8) dont un morceau portant des numéros de série (photo 9) Photos 10, 11, 12 Un morceau d'acier plié comme du papier à cigarette, montrant la violence du choc (Photo 10), des connecteurs (photo 11), de la tuyauterie (photo 12)
Une poulie de transmission des câbles de commandes de vol (photo 13 et 13 bis), un fragment d'équipement portant encore une vis et son fil frein (photo 14), un support d'équipement tordu (photo 15)
Mais que pouvait-il porter ? une douille dépasse de la terre et est même visible à l'il nu (photo 16). Mon ami Gilles, armurier à Toulouse, expertisera le marquage sur son culot : (photo 17). Plongeant dans ses livres, il me précisera que cette munition a été fabriquée par Browning en 1942 à Bridgeport, Connecticut, USA.
Il y a des pièces dont la finalité nous est inconnue : une pièce ronde avec une excroissance centrée (photo 18), une face arrière de capsule mesurant la pression, verte : un morceau d'altimètre ? une capsule d'oxygène ? (photo 19) Nous trouvons aussi une pièce de monnaie datant de 1941 (photo 20) : perdue par l'un des récupérateurs de l'épave ??
Quatre colliers chromés (photo 21) nous étonnent : 67 ans plus tard, le chrome est comme neuf, quelle qualité !
Mais surtout, une inscription retient mon attention " Wittek MFG Co. Chicago Patent N° 2278337" (photo 22). Elle confirme que le moteur était américain (marque Allison) et non anglais (Rolls Royce) : c'est bien un Mustang I auquel nous avons affaire. Les éléments les plus parlants restent à venir
(photo 23) De retour à la maison, en nettoyant ces fragments, ma tante me dit soudainement : "tu as vu qu'il y a une inscription sur celui-ci ?". En effet, un petit morceau de métal noir couvert de boue révèle un marquage (photo 23) : "directional gyro numéro de série 24537 ". Nous avons trouvé le support du compas.
Mais le plus émouvant Nous finissons nos recherches, 67 ans après le drame, jour pour jour. Jean est très ému de voir ainsi le passé ressurgir, lorsque soudainement, un gros bip : je creuse, Jean me guide avec le détecteur et nous extrayons (photo 24 / 25) : la montre de bord du Mustang. Fabriquée par Pioneer. Une aiguille est encore en place.
Nous sommes sous le choc (photo 26) Quel objet symbolique !!
Pour vérifier notre trouvaille, je questionne un site spécialisé sur les avions de la seconde guerre mondiale (" 12Oclockhigh "), et je demande une photo de la montre de bord du P.51A : voilà ce que je reçois (photo de montre en noir et blanc ) C'est clair, nous avons retrouvé la montre de bord de l'appareil d'Anthony Willcock.
Jean a le souvenir que l'avion était tombé dans l'après midi. Je me renseigne sur la différence d'heure entre l'Angleterre et la France pendant la guerre. C'est en fait un sujet très complexe, car la différence d'heure a varié à plusieurs reprises entre les deux pays pendant la guerre. Mais le 6 Août 1943, l'heure était la même dans les deux pays. La petite aiguille de la montre est près du quatre : Anthony Willcock est sans doute tombé au combat vers 16 heures.
Voilà, il reste maintenant à retrouver le fils d'Anthony : Christopher, pour lui remettre ces vestiges rappelant le sacrifice de son père. Il aurait 68 ans. Je sais qu'il s'est marié à Hampstead en 1968, quartier de Londres d'où ses parents, Anthony et Ada, étaient originaires : la recherche continue.
Gilles Collaveri N'hésitez à m'écrire ou me téléphoner ! 06 07 31 89 28 |