Michel
BARON
En 1974, sur le chantier de
terrassement de ce qui allait devenir l’immeuble du GAN près du Parc des
Expositions à Bordeaux Nord, une foreuse a remonté du sous-sol les restes d’un
avion.
Dans les jours qui ont
suivi, le quotidien « Sud-Ouest » a publié plusieurs témoignages et a essayé de faire le point sur
cet événement.
Trente ans plus tard, nous
avons désiré aller plus loin pour éclaircir certaines contradictions et
apporter des précisions. Cela a été rendu difficile car les informations
publiées dans la presse de l’époque (1940) ne sont guère fiables et parce que
les témoins encore vivants sont âgés, que leur mémoire n’est pas toujours
fidèle, et qu’au fil des temps certains récits sont enjolivés ; pourquoi
rester simple témoin de l’Histoire quand on peut se prévaloir d’un rôle
d’acteur !
Il a heureusement été
possible d’accéder à quelques fonds d’archives qui peuvent être considérés
comme dignes de confiance.
Toutes les informations
recueillies ont donc dû être vérifiées et, chaque fois que cela a été possible,
confrontées à d’autres sources. S’il subsiste quelques zones d’ombre,
l’essentiel des faits semble maintenant établi.
En cette
fin d’année 1940, la situation des Britanniques n’est guère enviable.
La
bataille aérienne d’Angleterre s’est terminée à leur avantage dans la mesure où
la Luftwaffe a abandonné la partie (après avoir largué près de 40.000 tonnes de
bombes sur l’Angleterre quand, dans le même temps, l’Allemagne n’en a reçu que
10.000 tonnes) et le risque d’un débarquement allemand semble enfin
définitivement écarté.
Mais
Dans ce
contexte, Bordeaux intéresse à double titre les stratèges de sa Majesté. Non
seulement le port abrite une importante base pour les sous-marins italiens et
les navires allemands forceurs de blocus, mais de plus, sur l’aérodrome de
Mérignac stationne le 40.Kampfgeschwader, une escadre aérienne spécialisée dans
la reconnaissance maritime, le soutien des sous-marins et l'attaque des
navires.
L’Allemagne
manque cruellement de certaines matières premières comme le caoutchouc naturel
et les métaux rares indispensables pour la production des alliages spéciaux.
Les forceurs de blocus ont pour mission d’assurer, par le seul port de
Bordeaux, le ravitaillement de l’industrie de guerre. Ce port est en effet le
plus méridional des ports contrôlés par l’Allemagne, aussi éloigné de Londres
que Hambourg.
Malgré la
faiblesse de ses moyens, la multiplicité des objectifs à traiter, l’éloignement
de Bordeaux et les pertes élevées qu’elle subit,
Dans la
nuit du 26 au 27 décembre 1940, l’agglomération bordelaise est soumise à un
bombardement de
Au cours
de cette attaque, un bombardier britannique est touché par la Flak[1], et s’écrase dans les
marais de Bordeaux Nord, à proximité de la Jallère.
La chute
de cet avion est signalée dans différentes correspondances adressées à la
Préfecture[2] par les commissariats de
quartiers et les mairies ainsi que dans les quotidiens bordelais «
Jeudi soir, les Anglais ont bombardé
Bordeaux. Il y a eu plusieurs morts et blessés parmi la population civile.
La DCA allemande a immédiatement riposté et a ouvert un feu violent, forçant les agresseurs à rebrousser chemin.
Quelques bombardiers ont été si sérieusement
endommagés qu’il est peu probable qu’ils aient pu rentrer à leurs bases.
Un avion du type « Handley Page » a été abattu en flammes et
un membre de l’équipage tué. Trois autres membres de l’équipage ont pu se
sauver en parachute ».
. Le
lendemain 29 décembre, chacun de ces journaux publie une photographie
différente[3] des restes de l’appareil
montrant à l’arrière plan un paysage de marécages qui correspond bien aux bords
de la Jallère avec la même légende: «Comme
nous l’avons annoncé le 28 décembre, au cours de l’attaque aérienne de la nuit
du 26 au 27 décembre, un bombardier anglais a été abattu, près de Bordeaux, par
la DCA allemande. Notre cliché montre les débris de l’appareil anglais qui
s’est enfoncé profondément dans le sol».
« La France » en haut, «
en date du 29 décembre 1940.
Les avions arrivaient du nord-nord-est de façon à se trouver alignés
avec la partie de la Garonne où étaient amarrés les navires à détruire. Les
attaquants se trouvaient très exposés aux pièces antiaériennes, déjà très
nombreuses sur les coteaux de la rive droite.
Deux témoins visuels s’en souviennent encore.
Madame
Richet : «Il pouvait être 21h 30 ou
22h. Il faisait très froid…. Quand nous avons entendu l’alerte, nous nous
sommes mis à la fenêtre au premier étage[4]….
La batterie de DCA qui se trouvait derrière chez nous tirait sans interruption.
D’autres aussi dans les marais de Bordeaux et sur la colline de Lormont… L’appareil,
pris dans les faisceaux des projecteurs, volait horizontalement. A plusieurs
reprises les Allemands le perdirent. Puis ils l’accrochèrent et ne le lâchèrent
plus. Finalement touché par un obus, l’avion piqua du nez, en flammes, et
explosa en touchant le sol».
Monsieur
Rouillard :
«Plusieurs avions étaient venus cette nuit-là essayer de couler les navires
marchands allemands amarrés aux quais et dans les bassins à flot. Ils étaient
trois, j’ai pu repérer leur passage, les uns après les autres sur l’objectif… un appareil fut touché par la Flak, le pilote
conscient du danger dut effectuer un virage serré à 180 degrés afin d’éviter le
Centre Ville, il était encore sans aucun doute lourdement chargé de bombes. Il
perdit immédiatement de l’altitude et s’écrasa dans le marais, en partie
inondé, mais gelé ce qui m’avait permis d’accéder au lieu de l’explosion.
J’avais situé à peu près l’impact, j’avais entendu une forte explosion suivie
dans la nuit d’une lueur[5]».
Ces deux récits, dans leur
simplicité, se complètent mutuellement. La seule différence notable porte sur
l’incendie de l’avion: Madame Richet comme tous les observateurs cités par les
rapports de police l’ont vu, Monsieur Rouillard ne l’a pas vu. Cette différence
peut s’expliquer par la position géographique des témoins: Monsieur Rouillard
était le seul placé au nord et le feu à un moteur se voit surtout depuis
l’arrière de l’avion.
La carte de la page suivante
présente un scénario possible de la fin de l’avion. L’axe d’approche imposait
le survol des coteaux de la rive droite où les positions de Flak étaient
importantes.
|
Peter Kraus, dans son ouvrage « Bordeaux, les
bombardements », nous apprend que, dans cette nuit du 26 au 27 décembre
1940, l’agglomération bordelaise a subi deux attaques aériennes
distinctes:
Ø
un raid du Bomber Command contre l’usine SNCASO de Mérignac effectué
par six Hampdens I du 49th. Squadron de Scampton (aucune perte
d’avion n’est déplorée)
Ø
un raid du Coastal Command par des Beaufort I du 217th
Squadron de Saint Eval qui bombardent des navires ancrés dans le port de
Bordeaux ; lorsque ces bombardiers dépassent Ambarès, ils sont
copieusement visés par les tirs de la Flak. « Pour
une raison inconnue, un des Beaufort (matricule L9860) est porté disparu avec
son équipage de 4 hommes».
Bristol
« Beaufort ». La tourelle inférieure (sous le nez)
n’existait pas sur tous les
avions.
Bien que
les journaux du 28 décembre 1940 disent qu’il s’agit d’un avion du type
« Handley Page », que P. Krause présente [6] une photo des restes de l’appareil examinés
par des militaires allemands accompagnée de la légende « Epave de
l’Hampden abattu par la Flak bordelaise » et que Sud-Ouest du 15
juillet 1974 parle d’un avion de chasse, on doit considérer que l’avion abattu
est bien le Beaufort porté disparu, ce que le Service historique de la RAF
confirme.
Il précise également la
composition de l’équipage qui est est la suivante[7] :
Flying Officer John Herman Durham Tilson, pilote, matricule 42030,
Sergeant Joseph Cresswell Wild, navigateur, matricule 751369,
Sergeant
William Barrington Miflin, opérateur radio et mitrailleur, mat. 550750,
Sergeant
Robert Alfred Bradshaw, mitrailleur matricule 905929.
Les
restes exhumés en 1974 (une partie d’un train d’atterrissage, un pneu, une
chambre à air et des débris de carlingue), auraient pu permettre de lever ce
doute s’ils avaient été examinées par des spécialistes. D’après le journal
« Sud-Ouest » de juillet 1974,
« les services de police et ceux de
la gendarmerie de l’air ont longuement étudié les pièces mises au jour ».
L’officier enquêteur désigné par l’Armée de l’Air a déclaré, après avoir
examiné les débris, « il s’agit, selon toute vraisemblance, d’un
bombardier ou d’un chasseur-bombardier de fabrication anglaise ou
canadienne »
Dans son témoignage, Monsieur Rouillard [8] dit : «des débris humains jonchaient le sol, des
lambeaux de peau et de chair dispersés au bord d’un immense trou, sur un arbre
était accroché un parachute non déployé, des restes de vêtements de cuir, en
plus encore des restes humains qui pendaient pitoyablement…». Cette
description laisse supposer qu’il n’y a pas eu de survivants.
Cependant, selon le journal «La France» du 28 décembre 1940 «un membre de l’équipage (a été) tué. Trois
autres membres de l’équipage ont pu se sauver en parachute». Il est
manifestement mensonger car :
Ø
le registre d’inhumation du Cimetière Nord de Bordeaux porte, à la
date du 27 décembre 1940, l’inhumation de trois «soldats britanniques»
de
|
Sur
le registre du Cimetière Nord, plusieurs inscriptions manuscrites se
superposent : Inscriptions
d’origine, de la main de M. Laporte
[9] à l’encre rouge : -
Soldat Britannique n°
90929. RAF -
d° n° 42030
d° -
d° sans numéro d° Des
surcharges apposées à des époques différentes: 1° Barkly Jack ? sur
le matricule 905 929, 2° Tilson J.H.D. sur le
matricule 42 030, -
Wild J.W., sergent, matricule 751369 sur le
« sans matricule ». Ces deux mentions sont également de la main de
M. Laporte., 3° « abattus le 26 décembre 1940 à minuit près de 4° « EXH le 9.5.50 pour Pornic (L. Inf) » |
Ø
Dans une lettre du 5 janvier 1941, le Commissaire spécial de Bordeaux rend
compte au Préfet de la surveillance «de
la tombe des trois aviateurs anglais récemment inhumés». [10]
Les services d’état civil de la mairie de Bordeaux n’ayant établi aucun
acte de décès, on peut penser que les inscriptions sur le registre du Cimetière
Nord ont été faites à la demande des autorités d’occupation et sur la base des
indications portées sur les plaques d’identité trouvées sur ces militaires.
Mais l’équipage du Beaufort était normalement constitué de quatre
hommes. Les restes du quatrième corps qui a été disloqué par l’explosion de
l’avion sont-ils toujours enfouis sur les lieux du crash?
L’inhumation des trois cadavres
a eu lieu dans une certaine discrétion « après la fermeture du cimetière
nord ». Cependant les troupes d’occupation « leur rendirent les
honneurs en tirant deux salves ».[11]. Peu de temps après, les
jeunes militaires de la batterie de Flak du Cimetière Nord ont profané les
tombes en les piétinant rageusement.
Le 5 janvier 1941, le commissaire spécial de Bordeaux rend compte au
Préfet de la Gironde que son service « a
procédé ce jour, entre 14h 25 et 15h 50, à une
surveillance discrète au Cimetière Nord …concernant une manifestation
qui devait se produire devant la tombe des trois aviateurs anglais ».
Il poursuit : « On peut
affirmer que, durant ce laps de temps, rien d’anormal ne s ‘est produit et
que seuls quelques visiteurs de tombes de parents (une dizaine tout au plus
dont les deux tiers de femmes), sont venus, à titre de curiosité, se recueillir
devant ces tombes d’étrangers, sans aucun commentaire ni dépôt de
fleurs ». ». Le rédacteur de ce rapport a manifestement cherché à
diminuer la portée des évènements. Comment en effet une « surveillance
discrète » peut-elle permettre d’affirmer que les visiteurs sont venus
« à titre de curiosité » ?
Pourquoi insister sur le fait qu’il s’agit surtout de femmes ?
Document Mme Rodriguez. |
|
Les gardiens du Cimetière Nord vers 1938. Debout MM. Boussinot, Xxxxx, Maury, Blanc, Laurent,
Vignolle. Assis : MM.Xxxx, Laborde, Massé (directeur),
Moncade, Gachin. Recrutés parmi les blessés de 14-18, deux d’entre
eux portent la Légion d’Honneur, cinq |
|
En 1950,
le transfert des corps des aviateurs a été effectué vers le Cimetière militaire
britannique de Pornic (Loire Atlantique).
Selon
les Service Historique de la RAF, les restes des quatre membres de l’équipage, (le quatrième étant le sergent Mislin
William Barrington matricule 550750 et le matricule 905 929 correspondant en
réalité au sergeant Robert Alfred Bradshaw), reposent au cimetière militaire
britannique de Pornic où ils ont été transférés après une première inhumation
au cimetière Nord de Bordeaux.
Comment une quatrième dépouille a-t-elle pu être ajoutée au moment du
transfert de 1950 ?
|
Cliché |
Le cimetière militaire britannique de Pornic |
|
Laissons parler Peter
Krause :
« La principale conséquence de cette action est l’abandon
définitif des bombardements par le Coastal Command. Plus jamais il ne viendra
attaquer directement ce port, ne pouvant à Bordeaux répéter les actions
entreprises en Bretagne. Jugeant inutile de relever cet impossible défi, il
n’effectuera désormais plus que des minages au large de l’estuaire et dans le
fleuve, entre la Pointe de la Coubre et Pauillac. Même dans cette campagne des
mines, il cède la grande partie de ces opérations au Bomber Command. C’est un
cas unique dans l’attaque des ports de l’Atlantique, dicté principalement par
l’éloignement de l’objectif. »
Cet ouvrage, très complet, a
été rédigé d’après les archives allemandes, britanniques, américaines et
françaises. Il signale, pour ce qui nous intéresse :
Ø
page 22, deux photographies des restes d’un avion abattu avec la
légende : « Epave de l’Hampden
abattu par la Flak bordelaise ». (sans indication de la date).
Ø
page 29: pour la nuit du 26 au 27 décembre 1940 : un raid du
Bomber Command contre l’usine SNCASO effectué par six Hampdens I du 49th.
Sq. de Scampton. Aucune chute d’avion n’est signalée.
Ø
Page 141: pour la nuit du 26 au 27 décembre 1940 : un raid du
Coastal Command par des Beaufort I du 217th Sq. de Saint Eval qui « bombarde des navires ancrés dans le
port de Bordeaux. Lorsque ces bombardiers dépassent Ambarès, ils sont
copieusement visés par les tirs de
Page 83, l’une des deux
photographies que P. Krause présente p 22 avec la légende : « Débris d’un avion anglais abattu par
la DCA et tombé à Blanquefort avec ses bombes le 26.12.1940 »
Page 115, les deux
photographies de Peter Krause avec la légende : « Débris d’un
avion anglais tombé à Blanquefort avec ses bombes le 21 décembre 1940 ».
Ø
Le samedi 28 décembre 1940, il publie, sous le titre « L’aviation
britannique a bombardé Bordeaux.. Un avion abattu, un aviateur tué » le
message suivant de l’Agence DNB de Berlin :
« Bien que l’aviation allemande, ainsi
que le communiqué publié par le haut commandement des forces armées allemandes
l’a constaté, n’a pas effectué de raids sur
Jeudi soir, les Anglais ont bombardé
Bordeaux. Il y a eu plusieurs morts et blessés parmi la population civile.
La DCA allemande a immédiatement riposté et a ouvert un feu violent, forçant les agresseurs à rebrousser chemin.
Quelques bombardiers ont été si sérieusement
endommagés qu’il est peu probable qu’ils aient pu rentrer à leurs bases.
Un avion du type « Handley Page » a été abattu en flammes et
un membre de l’équipage tué. Trois autres membres de l’équipage ont pu se
sauver en parachute ».
Ø
Le 29 décembre 1940, il publie une photo de l’épave de l’avion avec la
légende ; « Comme nous l’avons
annoncé le 28 décembre, au cours de l’attaque aérienne de la nuit du 26 au 27
décembre, un bombardier anglais a été abattu, près de Bordeaux, par la DCA
allemande. Notre cliché montre les débris de l’appareil anglais qui s’est
enfoncé profondément dans le sol ».
2.2. Journal
«
Ø
Le samedi 28 décembre 1940, il publie lui aussi, sous le titre
« Des avions britanniques ont bombardé Bordeaux. Plusieurs morts et
blessés dans la population civile. Un des avions a été abattu par la
DCA », le même communiqué de l’agence DNB de Berlin que « La
France ».
Ø
Le 29 décembre 1940, il publie une autre photo de l’épave de l’avion
avec même légende que « La France »; « Comme nous l’avons annoncé le 28 décembre, au cours de l’attaque
aérienne de la nuit du 26 au 27 décembre, un bombardier anglais a été abattu,
près de Bordeaux, par la DCA allemande. Notre cliché montre les débris de
l’appareil anglais qui s’est enfoncé profondément dans le sol ».
Ø Le mercredi 10 juillet 1974.
L’article
relate la découverte des restes d’un avion lors des travaux de construction de
l’immeuble du GAN. Il énumère les morceaux trouvés : une partie d’un train
d’atterrissage, un pneu, une chambre à air et des débris de carlingue porteurs
de nombreuses inscriptions en langue anglaise, et dit que ces débris ont été
saisis par la gendarmerie de l’air et la police dans le cadre de l’enquête
Un
encadré évoque les souvenirs d’un témoin :
« Un soir de décembre 1940, vers 22
heures, l’aviation alliée effectua un bombardement sur Bordeaux. Le Palais de
la Bourse, où se trouvaient de nombreux officiers allemands et italiens, fut
atteint.
Plusieurs témoins s’en souviennent et l’un
d’eux qui circulait à bicyclette sur l’avenue de Bruges en direction du
quartier de Bacalan s’était arrêté en raison des tirs de la DCA installée à
l’époque dans les blockhaus qui subsistent aujourd’hui à proximité de
Dissimulé dans le tronc d’un arbre mort il
vit nettement l’un des appareils pris dans les projecteurs de la DCA et
finalement touché par un obus de celle-ci.
L’avion s’abattit en flammes avant de
s’écraser et d’exploser, d’après le témoin, à proximité du chemin de Pernon.
Le lendemain – ou le surlendemain – l’équipage fut inhumé au cimetière
Nord, dont les Allemands avaient interdit l’accès. Mais deux jours plus tard,
les tombes étaient fleuries.
Il semble bien que les restes mis à jour soient ceux de l’avion anglais
abattu ce soir de décembre 1940 »
Ø
Le jeudi
11 juillet 1974.
Sous le titre « Plus de
mystère dans le quartier du Lac », un article cite Madame Richet, 9 rue
Pierre Renaudel au Bouscat et Monsieur Boussinot son frère de Bègles. Ils
habitaient à l’époque à Bruges, chemin Poujauque devenu rue Ausone. Voici leur
témoignage : « Il pouvait être
21h 30 ou 22h. Il faisait très froid…. Quand nous avons entendu l’alerte, nous
nous sommes mis à la fenêtre au premier étage…. La batterie de DCA qui se
trouvait derrière chez nous tirait sans interruption. D’autres aussi dans les
marais de Bordeaux et sur la colline de Lormont… L’appareil, pris dans les
faisceaux des projecteurs, volait horizontalement. A plusieurs reprises les
Allemands le perdirent. Puis ils l’accrochèrent et ne le lâchèrent plus.
Finalement touché par un obus, l’avion piqua du nez, en flammes, et explosa en
touchant le sol ».
Une photo de presse, donnée
par ces témoins, accompagne l’article. C’est celle du 29 décembre 1940 dans
«
L’article se poursuit
ainsi : « Le lendemain, sur les
lieux, les Allemands, heureux de leur victoire, laissèrent s’approcher les
curieux. Puis, après la fermeture du Cimetière Nord, ils procédèrent à
l’inhumation des deux aviateurs anglais dans un carré situé près de l’entrée
nord et leur rendirent les honneurs en tirant deux salves. Quelques jours plus
tard, des mains anonymes avaient fleuri les tombes des deux aviateurs anglais.
Elles devaient être entretenues jusqu’à la victoire ».
Ø
Le lundi
15 juillet 1974.
Sous le
titre « A propos de l’avion anglais abattu à Bordeaux-Lac » est
publié l’article suivant : « Ainsi
que nous l’avons relaté la semaine dernière, les débris d’un avion de chasse de
l’armée alliée ont été découverts à Bordeaux-Lac sur un chantier où travaillait
une foreuse. Grâce aux récits de plusieurs témoins nous avons pu établir avec
une quasi-certitude que cet avion avait été abattu une nuit de décembre 1940
par la DCA allemande. Un de nos lecteurs, M. Lagueyte de Gradignan, a tenu à
nous apporter quelques précisions concernant l’équipage : Il y eut deux rescapés
car deux aviateurs anglais ont été hébergés à Bruges, puis acheminés par des
pêcheurs à l’embouchure de la Gironde et enfin rapatriés en Angleterre. Je l’ai
su par la BBC que je prenais jusqu’à une heure du matin, quelques jours après
ils ont adressé des remerciements aux gens de Bruges et aux pêcheurs qui leur
avaient promis qu’ils rejoindraient l’Angleterre[12]»
Ø
Dossier
1684 I 4. Ces
« Registres des inhumations de militaires » du cimetière Nord de Bordeaux
ne signalent aucune inhumation pour le mois de décembre 1940 et aucune
inhumation d’aviateur allié pendant tout la guerre.
Ø
Dossier
5690 H2. Archives
de la Défense passive et de la police municipale. Précisent que, pour la nuit
du 26 au 27 décembre 1940, l’alerte aérienne a duré de 22heures 30 à 24heures.
Ø
Dossier
« Vrac 374 » (en cours de classement).
Ce dossier contient les
archives de la Préfecture relatives à l’action de l’administration face aux
bombardements. Dans la chemise : « Compte rendu des alertes des 26,
27,28 et 29 décembre 1940 », on trouve :
-
Une lettre du Commissaire central au Préfet, « plusieurs personnes ont
déclaré avoir vu un avion tomber dans la direction des Allées de Boutaud ».
-
Une lettre du Directeur départemental de la Défense passive: « un avion aurait été abattu dans les
marais situés au nord des bassins à flot, entre le chemin de Labarde et le
chemin de la Palu, au-delà de l’usine à gaz, sur le territoire de
Bordeaux ».
-
Une feuille manuscrite sur laquelle sont récapitulées les informations
parvenues à
-
Une lettre du 5 janvier 1941, le Commissaire spécial de Bordeaux rend
compte au Préfet d’une « surveillance
discrète au Cimetière nord concernant une manifestation qui devait se produire
devant la tombe des trois aviateurs anglais récemment inhumés ».
Le registre d’inhumation
conservé au Cimetière Nord porte, à la date du 27 décembre 1940, l’inhumation
de trois « soldats britanniques de la RAF ». Sur les mentions
originales (les matricules de deux d’entre eux, ont été ajoutés en surcharge au
crayon trois noms: « Barkly Jack ?, Tilson J.H.D., et Wild J.W.,
matricule 751369 », « abattus le 26 décembre 1940 à minuit près de
Ces surcharges semblent tardives car les noms ne figurent pas sur la table alphabétique de 1940.
MM. Bécamps et Krause
signalent que les documents photographiques de l’épave proviennent du Centre
Jean Moulin. Malgré deux visites, le service documentation du Centre n’a pas pu
les retrouver.
Des recherches ont été entreprises pour retrouver les actes de décès de ces aviateurs à la date de leur décès et à celle de leur exhumation et du transfert de leurs restes. Aucun acte n’a été trouvé.
Procès verbal n°478 du 9 juillet 1974 de la brigade
de Gendarmerie de l’Air.
De ce PV on tire les éléments suivants :
Ø
C’est au cours d’un forage en vue d’édifier les fondations d’un
immeuble qu’un conducteur d’engin a découvert, à
Ø
Un témoignage de madame Richet (née Boussinot) conforme en tous points
à celui publié dans le journal Sud-Ouest et copié au § 5.3 ci-après.
Ø
Un témoignage de monsieur Boussinot reproduit au § 5.4 ci-après.
Ø
Les photographies de train d’atterrissage et du pneumatique.
Les informations ci-après ont
été communiquées par le Commandant Pierre Grogan, officier de liaison de
Ø
Il s’agit bien du Beaufort n° L9860 du 217 Squadron.
Ø
Sa chute est enregistrée à 18h 35.
Ø
L’équipage était composé
de :
-
42030 Flying Officer John
Herman Durham Tilson, pilote,
-
751369 Sergeant Joseph
Cresswell Wild,
-
550750 Sergeant William Barrington Miflin,
-
905929 Sergeant Robert Alfred Bradshaw.
-
Il n’y a pas de Jack Barkly ; le matricule qui lui est affecté au
Cimetière Nord est celui du sergeant Bradshaw.
Ø
Les restes des quatre membres de l’équipage ont été inhumés au Cimetière
Nord avant d’être transférés au cimetière militaire britannique de
Lorient ; la plaque du sergent Mislin (William Barrington) matricule
550750 est apposée sur une fosse commune.
« Effectivement un bombardier anglais s’est
écrasé atteint par la DCA dans les marais de Blanquefort, je ne me souviens
plus de la date mais je crois que c’était plus tard en 1941 ? C’est mon
directeur d’école du Bouscat Centre, M. Dupuy qui était résistant qui est intervenu
avec son équipe pour récupérer l’équipage. Malheureusement ils n’ont pas pu
localiser l’épave et M. Dupuy a fait appel à un de ses élèves qu’il savait
acquis à la résistance et qui habitait dans les marais de Blanquefort qu’il
connaissait très bien. Il les a guidés jusqu’à l’avion anglais et ils ont pu
récupérer un aviateur blessé, les autres étant morts.
Cet élève c’est mon copain Pierre Rouillard qui
habite toujours Allée du Flamand (face à Chambarrière) dans les marais de
Blanquefort. Il se fera certainement un plaisir de vous renseigner en
connaissance de cause ! »
« Le bombardier britannique ….. a bien été abattu fin décembre
1940 après minuit. Il ne s’est pas écrasé sur Blanquefort, mais dans les marais
de Bordeaux-Nord, au bord de la Jallère (lors de la construction des bâtiments
du GAN, il a été découvert les roues et divers débris de l’appareil enfouis
dans le sol par l’explosion).
Plusieurs avions étaient venus cette nuit-là essayer de couler les
navires marchands allemands amarrés aux quais et dans les bassins à flot. Ils
étaient trois, j’ai pu repérer leur passage, les uns après les autres sur
l’objectif.
Les Anglais avaient recommandé aux équipages de larguer à faible
altitude (information fournie à l’époque par la B.B.C.) afin de bien repérer
leur objectif et préserver la population civile.
De ce fait un appareil fut touché par la Flak, le
pilote conscient du danger dut effectuer un virage serré à 180 degrés afin
d’éviter le Centre Ville, il était encore sans aucun doute lourdement chargé de
bombes. Il perdit immédiatement de l’altitude et s’écrasa dans le marais, en
partie inondé, mais gelé ce qui m’avait permis d’accéder au lieu de
l’explosion. J’avais situé à peu près l’impact, j’avais entendu une forte
explosion suivie dans la nuit d’une lueur.
Le lendemain dans la matinée, je me suis rendu péniblement sur les
lieux, j’ai retrouvé les restes de l’avion, entièrement pulvérisé, rien n’était
reconnaissable, des débris humains jonchaient le sol, des lambeaux de peau et
de chair dispersés au bord d’un immense trou, sur un arbre était accroché un
parachute non déployé, des restes de vêtements de cuir, en plus encore des
restes humains qui pendaient pitoyablement…
Rien ne permettait de définir le nombre de victimes.
Je quittai rapidement les lieux pensant que
les membres de l’Armée allemande pouvaient rapidement arriver. J’étais
apeuré… !
Sur le chemin du retour je rencontrai deux hommes, mon jeune âge les
avait sans doute rassurés. Ils me demandèrent où se trouvait le
« Crash », ils pensaient qu’un membre d’équipage avait pu se sauver
en sautant avant l’impact. Ils effectuaient certainement des recherches.
Je les dirigeai sur les marais de Bruges. Je connaissais parfaitement
le terrain, tout ceci en prenant d’extrêmes précautions, à l’époque il valait
mieux se tenir à l’écart de ce genre de conversation, il était dangereux de
poser trop de questions.
A mon avis, il n’y eut aucun survivant. »
Interrogé, M. Rouillard
apporte les précisions suivantes :
-
Il est arrivé sur les lieux vers 9h1/2 ou 10h. Il a noté que le sol
gelé portait des traces de l’avion comme s’il avait tenté et réussi un
atterrissage forcé avant d’exploser. Il a été surpris de ne voir aucun morceau
important de l’appareil mais seulement quelques morceaux des instruments et du
tableau de bord ; il avait glissé dans sa poche « l’aiguille de
l’horizon artificiel ».
-
Il ne connaissait pas les personnes qu’il a rencontrées et les a
conduites dans les marais de Bruges et non sur les lieux du crash.
Elle confirme son témoignage de 1974 ( Journal « Sud-Ouest ») cité ci-après:
« Il
pouvait être 21h 30 ou 22h. Il faisait très froid…. Quand nous avons entendu
l’alerte, nous nous sommes mis à la fenêtre au premier étage…. La batterie de
DCA qui se trouvait derrière chez nous tirait sans interruption. D’autres aussi
dans les marais de Bordeaux et sur la colline de Lormont… L’appareil, pris dans
les faisceaux des projecteurs, volait horizontalement. A plusieurs reprises les
Allemands le perdirent. Puis ils l’accrochèrent et ne le lâchèrent plus.
Finalement touché par un obus, l’avion piqua du nez, en flammes, et explosa en
touchant le sol ».
Elle confirme également la
suite de l’article qui avait été rédigée sur la base de son récit: « Le lendemain, sur les lieux, les
Allemands, heureux de leur victoire, laissèrent s’approcher les curieux. Puis,
après la fermeture du cimetière nord, ils procédèrent à l’inhumation des deux
aviateurs anglais dans un carré situé près de l’entrée nord et leur rendirent
les honneurs en tirant deux salves. Quelques jours plus tard, des mains
anonymes avaient fleuri les tombes des deux aviateurs anglais. Elles devaient
être entretenues jusqu’à la victoire ».
Selon elle, les tombes
auraient été fleuries par l’épouse d’un pilote français (Rossi pense-t-elle).
Elle était informée par son père qui était gardien au cimetière.
Monsieur Yves Boussinot est le frère de Madame
Richet. Son témoignage a été recueilli par la Gendarmerie de l’Air au cours de
son enquête.
« ….En compagnie de ma
sœur aînée Simone, nous nous sommes mis à la fenêtre du premier étage.
Personnellement j’ai remarqué un avion qui était pris dans les faisceaux
lumineux de la D.C.A. allemande. Peu après, cet avion est venu heurter le sol
puis a explosé. J’ai bien vu des flammes jaillir dans le ciel avec des gerbes
d’étincelles. Il faut préciser que notre domicile dominait le secteur et
qu’autor du Cimetière, il n’y avait que des terrains vagues et le sol était
marécageux.
Le lendemain matin, je suis
allé voir au point de chute de l’avion malgré l’interdiction des Allemands qui
pourchassaient les curieux.
Je me rappelle que
l’appareil avait explosé en touchant le sol et que des débris se trouvaient
éparpillés sur plusieurs centaines de mètres à
« Mon grand-père Henri Laborde était boulanger. Gravement blessé
pendant la première guerre mondiale, il avait évité de justesse l’amputation de
son bras droit et il lui était impossible d’exercer son métier. Il avait donc
été engagé par la Mairie de Bordeaux comme gardien au Cimetière Nord. Il y
était « brigadier-chef », c’est à dire chef des gardiens. A ce titre,
il était logé dans le cimetière, au-dessus de
Enfant (j’avais huit ans en 1940), j’aimais aller chez ces
grands-parents. Ma grand-mère m’aidait pour mes devoirs scolaires et je
disposais, aux heures de fermeture, d’une immense cour de récréation. Il
m’était strictement interdit de toucher aux tombes et j’avais toujours respecté
cette interdiction.
Je ne me souviens pas de l’avion abattu le 26 décembre 1940. Mais j’en
conserve deux images :
-
celle de mon grand-père
racontant que les trois aviateurs anglais ont été inhumés sans pierre tombale
et qu’aussitôt après l’inhumation les jeunes militaires de la batterie de DCA
voisine, dans une sorte de danse païenne, ont piétiné rageusement les tombes.
-
Celle de ma grand’mère qui
souvent plaignait ces jeunes hommes venus nous défendre et leurs parents qui ne
les reverraient pas.
Je peux témoigner que pendant toute le guerre, ces tombes ont été
régulièrement entre tenues et toujours fleuries. Des fleurs étaient déposées
par les familles venant se recueillir sur les tombes de leurs proches. Les deux
fleuristes installés à l’entrée du cimetière (Famille Soubies et Simone Noël) y
contribuaient largement. Les gardiens recommandaient la plus grande discrétion
aux auteurs de ces gestes.
Fortement impressionnée par les propos de mes
grands-parents, et malgré l’interdiction de mon grand-père, je prélevais une
fleur par ci, une autre par là pour les déposer sur ces tombes dont le
dépouillement me touchait: une simple croix de bois portant un numéro. »
Réponse à une question : « Je n’ai aucun souvenir des
honneurs militaires rendus à ces aviateurs. »
Caractéristiques.
Le Bristol
« Beaufort » a effectué son premier vol le 15 octobre 1938, sa
production a été lancée en 1939. C’était donc, au début de la guerre, un avion
moderne.
Dérivé du bombardier Bristol
Blenheim, ce bombardier bimoteur avait été adapté au mouillage de mines et au
torpillage des navires. Jusqu’en 1943 il a constitué l’épine dorsale du Coastal
Command.
2.080 exemplaires ont été
construits, dont 700 en Australie.
Dimensions :
§
Envergure
§
Longueur:
§
Hauteur:
§
Poids à vide:
§
Poids maximum en charge:
Equipage : 4 hommes.
Charge
maximale :
§
§
ou une torpille de
§
ou des mines.
Performances :
§
Vitesse maximale:
§
Plafond de service:
§
Rayon d’action: 1300 à
Vues du
Beaufort.
Le « Beaufort » au
sol et en vol.
Ces deux clichés
appartiennent à la même série que ceux publiés le 29 décembre 1940 dans la
presse locale. Ils sont extraits de l’ouvrage de Peter Krause qui les a
obtenues au Centre Jean Moulin de Bordeaux
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Photographies prises par un militaire allemand en
1940. (internet)
1. Une épave retrouvée. |
2 |
2. Le contexte stratégique. |
2 |
3. Un avion britannique abattu. |
3 |
4. Le drame. |
5 |
5. Quel type d’appareil ? |
6 |
6. Le sort de l’équipage. |
7 |
7. « Manifestation » au cimetière Nord. |
9 |
8. Les sépultures définitives. |
10 |
9. Les conséquences de ce raid. |
11 |
Annexe 1. Les sources d’informations. |
12 |
1. Sources imprimées. |
12 |
2. La presse de 1940. |
12 |
3. Le journal « Sud-Ouest » de
1974. |
13 |
4. Documents d’archives. |
15 |
5. Témoignages. |
16 |
Annexe 2. Le Bristol « Beaufort ». |
20 |
Annexe 3. Photos de presse de 1940. |
22 |
Annexe 3. Photos d’un militaire allemand. |
23 |
Table des matières. |
24 |
[1] Flugabwehr-Kanone, l’artillerie antiaérienne allemande
[2] Voir annexe 1, § 4.2.
[3] Deux autres photos de la même série sont publiées dans « Bordeaux. Les bombardements » de Peter Krause. Trois autres, prises par un membre des troupes d’occupation, ont été vues sur Internet.
[4] Alors enfant, Madame Richet habitait en bordure du Cimetière Nord, sa maison dominait les marais et offrait un excellent point d’observation.
[5] Bel exemple de la fragilité du témoignage humain : les lois de la physique veulent que la lueur de l’explosion parvienne à l’observateur avant son bruit
[6] Voir annexe I. § 1.1.
[7] Source Royal Air Force.
[8] Voir Annexe I § 52
[9] Ecriture formellement identifiée par Mme Rodriguez, sa petite fille.
[10] En 1974, Sud-Ouest parle de deux aviateurs
[11] Déjà le 17 octobre à Ambarès, l’Armée
allemande avait, de la même façon, rendu les honneurs à l’équipage d’un autre
bombardier abattu par la Flak.
[12] Ce témoignage concerne très probablement un autre avion, abattu bien plus tard dans les marais de Bruges