SAINT-MALO

En mer, Cézembre

Le 3 mai 1942

Avion et pilote inconnu

 

Histoire résolue, voir récit

Saint-Malo, en mer

"La Conchée"

Havoc Mk I AW398

L'enterrement de l'aviateur anglais

 

C'était le 3 mai 1942, dans l'après-midi, un avion anglais de la RAF, en mission de reconnaissance, et qui volait très bas au-dessus de l'Esplanade du port, fut touché par la DCA, nous avions suivi à la jumelle les périples de ce raid, et le spectacle de la joie des soldats boches, qui montraient le large en gesticulant, nous avait persuadés qu'un malheur était arrivé. Le corps de l'aviateur, repêché, ramené peu après et déposé à la morgue, à l'Hôtel Dieu de Saint-Malo, par les troupes allemandes, qui établirent une garde près du cadavre. (L'avion serait tombé derrière l'Île de Cézembre)1. (Témoignage confondu avec la perte du Flight Sergent Pilot. CHARLTON JOHN, le 24 juin 1944 ??).

C'était un aviateur canadien de la RAF, nommé John Welmouth, (Nom totalement inconnu pour un aviateur du Commonwealth mort durant le conflit. Il est probable que ce nom fut trouvé sur la Mae West du corps de Sgt. Moore) grand géant blond. La population avait été alertée par le tir de la DCA, quelques personnes avaient vu les allemands transporter le corps à la morgue et bientôt tous furent au courant de la présence de ce héros à l'Hôtel Dieu.

Melle Claudel, une des sages-femmes de la maternité de l'établissement où elle avait ses grandes et ses petites entrées, fut la première à accomplir la toilette mortuaire de John Welmouth. Pendant qu'elle était occupée à sa funèbre besogne, un des allemands qui montait la garde près du cadavre, lui fit des observations, elle eut alors cette fière réponse :

"J'ai déjà enseveli les morts en 1914, même des soldats allemands qui étaient nos ennemis et je ne vois pas pourquoi aujourd'hui je ne rendrais pas les mêmes devoirs à ce jeune brave que je considère comme mon fils", et, sans plus se soucier du soldat boche, elle continua sa sainte besogne.

L'enterrement devait avoir lieu le 5 mai à la Chapelle Saint-Sauveur et, pour honorer notre allié, Melle Claudel avait réuni quelques personnes pour préparer le cortège qui devait suivre la cérémonie religieuse. Il avait été entendu que l'on ferait un enterrement solennel et qu'un cortège, aussi nombreux que possible, accompagnerait le corps jusqu'au cimetière.

Outre Melle Claudel, MM. Waltz de Monségur, André Dalençon, Stanislas Thomas, Andrieux, Romeril, Gautier, Brown, Gaillard, Le Morvan Josse et Lemaitre, assistaient à cette réunion préparatoire ; ils se chargèrent d'alerter la population.

De bonne heure le matin, M. Gautier, employé d'octroi, qui faisait le guet, vit huit soldats allemands casqués qui emmenaient le corps au cimetière. La veille, de nombreuse gerbes et couronnes avaient été déposées au pied du cercueil, mais les boches n'emportèrent que la leur, laissant les autres sur place.

Vers sept heures et demie du matin, l'église Saint-Sauveur était pleine à craquer et, à l'extérieur, une foule nombreuse se pressait, qui n'avait pu trouver place dans la Chapelle. M l'Abbé Colas, aumônier de l'Hôtel Dieu, célébra la messe ; après celle-ci le cortège se forma et prit la route du cimetière ; plusieurs milliers de personnes suivaient silencieuse, quand la tête du convoi tournait à Rocabey les derniers assistants arrivaient au Casino.

En tête marchaient, portant des couronnes, les jeunes gens qui avaient assisté à la réunion préparatoire, dont nous avons donné les noms plus haut, puis deux voitures chargées de fleurs et la foule suivait digne et silencieuse.

A la Porte Saint-Vincent, le commissaire de police demanda au cortège de se dissoudre, disant que les Allemands allaient tirer sur la foule. Ces objurgations n'arrêtèrent personne et le cortège atteignit le cimetière par la Chaussée du Sillon, la Place de Rocabey et entra par la porte du nouveau cimetière, près du lieu où reposait l'aviateur anglais. Une foule considérable était déjà massée aux abords de la tombe, au pied de laquelle les jeunes gens déposèrent les fleurs et les couronnes.

M. André Lemaitre demanda alors à la foule d'observer une minute de silence et les jeunes organisateurs firent la chaine pour que les assistants défilent, un par un, devant le cercueil.

Personne, à ce moment, ne savait que la couronne à croix gammée, déposée par les allemands, de bonne heure le matin, avait été piétinée et enlevée, ceci s'était passé avant l'arrivée du cortège, deux femmes en avaient été les auteurs.

Après le défilé de la foule, MM. André Lemaitre et Gautier furent appréhendés par les agents de la Gestapo qui avaient suivi la cérémonie, mélangés à la foule ; ces deux hommes furent conduits directement au siège de la Gestapo et interrogés longuement. L'arrestation de M. Lemaitre fut maintenue tandis que M. Gautier fut relâché vers midi.

Les jours suivants chacun des porteurs de couronnes reçut un ordre de la Kreiskommandantur de Saint-Malo analogue à celui-ci : " M. Dalançon, secrétaire à l'Hôtel-Dieu de Saint-Malo est requis pour garder la couronne déposée par l'armée allemande sur la tombe du militaire anglais, inhumé le 5 mai 1942, au cimetière de Saint-Malo.

NOTA.- Tout manquement à cette réquisition ou tout défaut de surveillance seront considérés comme acte de sabotage et pourront être punis de la peine de mort ".

Le 8 mai 1942, Melle Claudel, M. et Madame Josse, Mme Jourdan, ainsi que quelques-uns des porteurs de couronnes furent convoqués au commissariat de police où on leur distribua des feuilles leur ordonnant d'aller passer, suivant le cas, de quinze jours à deux mois au Camp des Nomades, boulevard Jacques Cartier à Rennes. Cet ordre était signé du Préfet Bouché Leclerq. Les inculpés durent purger cette peine, ils croyaient leur malheur terminé quand ils reçurent l'ordre de se présenter devant le Conseil de Guerre allemand à Rennes. Mme Jourdan, M. et Mme Josse, Melle Claudel, MM. Brown, André Dalançon, Andrieux, Romeril, Thomas, tous étaient accusés de manifestations anti-allemandes. Des témoins étaient cités par le Conseil de Guerre. C'étaient : M. Tamini, Directeur des Pompes Funèbres, M. Dubois, Capitaine de gendarmerie ; le gendarme Mendec, M. Mousson et l'adjudant de gendarmerie de Saint-Servan. Une jeune fille avait voyagé avec les inculpés de Saint-Malo à Rennes. C'était un "mouton" au service de la Gestapo, elle essaya de les faire parler tout au long de la route, sans succès, et à Rennes rejoignit les allemands. Le procès dura deux jours et les inculpés ne surent rien du résultat du jugement, ils étaient libres, sauf M. Lemaitre toujours prisonnier, et pensaient l'affaire entérinée, lorsque 15 jours après, ils reçurent une nouvelle feuille les convoquant cette fois à Saint-Malo, dans la salle des Grands Hommes, pour être jugés par le Tribunal de Guerre. La séance était publique, elle était présidée par le Colonel Petz, les inculpés étaient entourés de feldgendarmes, ils furent interrogés isolément le matin.

Melle Rozé, avocate au barreau de Saint-Malo, citée comme témoin, s'entendit condamner aux travaux forcés pour attitude provocante envers le tribunal, elle avait crânement la croix de Lorraine à son corsage. A quatre heures le soir, les délinquants durent revenir pour le verdict, un feldgendarme qui parlait correctement le français leur dit que leur cas était grave, car il avait vu rarement un Tribunal de Guerre se déplacer. Melle Claudel fut condamnée à dix mois de prison ainsi que M. Lemaitre. M. et Mme Josse eurent 9 mois, et les autres, tous les porteurs de couronnes sauf ceux qui n'étaient pas poursuivis à six mois de la même peine.

Cette peine fut subie à la prison départementale de Rennes, les gardiens étaient des douaniers de Saint-Malo qui traitèrent très bien les condamnés. Ceux-ci, toutefois, avaient défense de s'allonger dans la journée et de fumer.

La nourriture était la suivante : très légère soupe aux choux à 11 heures et à 17 heures, en outre ils avaient droit à un colis par semaine, ce qui leur permit d'attendre sans s'souffrir leur libération et le 12 octobre 1942, ils virent s'ouvrir les portes de leur prison, du moins pour MM. Dalançon, Gautier, Le Morvan et Waltz de Monségur. Ce dernier fut déporté plus tard en Allemagne et envoyé au camp de Buchenwald à Weimar. M. et Mme Josse et Melle Claudel furent libérés plus tard.

A la suite de l'incident de l'enterrement de l'aviateur anglais, les juges avaient remarqué que certains des inculpés portaient des croix de Lorraine, aussi des perquisitions furent-elles effectuées dans les magasins et plusieurs commerçants condamnés à la prison, parce qu'on avait trouvé chez eux de semblables insignes.

Cette affaire de l'enterrement de l'aviateur a eu, jusqu'à ka fin de l'occupation, une considérable importance, on a dit que les allemands avaient filmé le défilé, et à la base de beaucoup de persécutions se trouvèrent visés les organisateurs du cortège.

 

Cimetière de Rocabey à Saint-Malo, tombe de l'aviateur inconnu.

Photo Eliane Petitmangain

"QUATRE ANS SOUS LA BOTTE" d'Edouard Descottes. Sous- titré : "Occupation Siège, Destruction de la Forteresse de Saint-Malo -Dinard ". Imprimé à Dinard chez Braun et Liorit, le 10 septembre 1946.

1 : Article paru dans un livre, donne la perte pour le 30 avril ?

GO

Journal Le Pays Malouin du jeudi 9 au mercredi 15 septembre 2010